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 [Librairie Mollat – Octobre 2006]

Frigyes KARINTHY (1887-1938)

Grand nom de la littérature hongroise, habitué du « Café Central » de la capitale aux côtés de son ami D. Kosztolanyi, Frigyes Karinthy (photo du haut) incarne l'esprit budapestois du début du XXème siècle. Inscrite dans l'effervescence culturelle de la « belle époque » austro-hongroise bientôt anéantie par la première guerre mondiale, son oeuvre reflète l'extrême sagacité de son regard et son goût inaltérable pour le rire (incarné par sa formule devenue célèbre : « en matière d'humour, je n'admets pas de plaisanterie »). Pour en prendre bonne mesure, il n'est que d'évoquer son Voyage autour de mon crâne, « roman » autobiographique de l'évolution de sa tumeur au cerveau : autodérision et humour forcené métamorphosent le récit en une promenade introspective enjouée et en hymne à la vie. C'est à ce Karinthy facétieux que l'on doit le Reportage céleste de notre envoyé spécial au paradis dans lequel un journaliste, en voyage dans l'au-delà, consigne ce qu'il voit et entend de la bouche des grands personnages du passé. Sous couvert de farce extravagante, l'entreprise ubuesque bouscule les croyances et les valeurs erronées de l'ici-bas. Les « histoires » qui composent Je dénonce l'humanité nous régalent de cet art accompli du non-sens. Très éclectiques (l'esprit libre de Karinthy virevolte avec bonheur de nouvelle psychologique en récit historique, de nouvelle d'anticipation en saynète dialoguée), elles mettent en scène des personnages (souvent présentés comme l'auteur lui-même) qui, confrontés à des situations burlesques jusqu'à l'absurde, sont poussés dans les retranchements de leur conscience, acculés à leur mauvaise foi et à leurs préjugés.

Empreint de ce même désir d'éveiller les consciences à leurs propres contradictions, dans une veine cette fois plus proche d'un Orwell que d'un Jarry, Capillaria, le pays des femmes est le portrait d'une société fantasmatique où sont culbutées les valeurs de l'occident phallocratique. Sous la plume de Karinthy, la remise en question des évidences, aussi humoristique soit-elle, prend une dimension politique et philosophique. On peut parier que c'est précisément parce qu'il s'épanouit sur une vision grave des choses que l'humour de l'amuseur-amusé est aussi pertinent et irrésistible. Le Cirque, recueil de nouvelles plus sombres et oniriques, révèle le clown triste qui se cache sous les facéties. Karinthy y met en scène angoisses, fantasmes, souvenirs et peurs de l'enfance, sans grandiloquence toutefois, avec la simplicité et la justesse de trait caractéristique de toute son oeuvre.