Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
VIE THÉÂTRALE À PÂQUE EN 2020
La rédaction : Citadelle de Grand-Budapest.
Bureaux d’édition : Paris, Londres, Berlin, Vienne.
Imprimerie : New York. Diffuseur : Pékin.
Fermenteur : Melbourne. Grand Maître à Tordre : Pataky 23. Rédacteur en chef : le comte
Archibald Yntze. Tendance de la revue :
libéral centriste. Abonnement : 38 tourouls
et 4 charabias. La responsabilité de tous les articles incombe au
lecteur.
Musique du futur
(Un essai de principe assez long, en trente
lignes.)
Ecrit par moi : baron
László Szász
Nous avons glorieusement terminé la
guerre. Ce fut la dernière guerre de l’histoire universelle. Une
nouvelle ère a commencé. Dans la culture également. Dans
le monde du théâtre également. Rompre avec le passé.
Rompre avec l’avenir. Seulement trois cents théâtres pour
Grand-Budapest, ce n’est pas juste. Nos auteurs dramatiques
méprisent la littérature de la planète Mars, pourtant
l’esprit national ne peut être gardé en éveil
autrement que par un contact permanent avec les planètes
cultivées. Le talent doit l’emporter. Dorénavant seulement.
L’art est dangereusement menacé par la mouvance vivante. Nonono. Peut aller, peut aller, peut aller. (Fin.
J’ai touché cinquante tourouls et quatre
charabias, l’auteur.)
Théâtre de la Gaîté :
L’épouse d’autrui
(Création)
La plus grande force de la pièce de E.B. que le Théâtre de la Gaîté
a présentée ce matin est son
thème. Le jeune auteur touche à une problématique que la
littérature dramatique orpheline des traditions anciennes n’a
jamais osé aborder jusqu’à présent, ou si elle
l’a fait, elle le considérait comme un thème qui n’a
rien à voir avec l’art. La liberté de parole avec laquelle
l’auteur ose constater qu’il existe des hommes à qui ce
n’est pas leur propre femme qui plaît mais celle d’autrui, est peut-être un peu trop
alarmante et effraie. Mais n’oublions pas que la scène doit
évoluer et qu’il n’est que temps que cette dernière
découverte de la psychologie moderne qui a chamboulé la foi et la
conviction de millénaires, découverte selon laquelle il arrive
qu’un homme s’intéresse à la femme d’un autre,
se reflète enfin également dans l’art. Il est certain que
nos ancêtres au début du vingtième siècle auraient
été mortifiés d’une telle pensée, ou ils
n’auraient même pas compris la pensée révolutionnaire
de E.B. – mais justement nous sommes là, nous les
arrière-petits-fils, pour montrer la nouvelle voie et pour aider
l’humanité à trouver des mots nouveaux, des pensées
nouvelles, des points de vue nouveaux – à l’aube d’une
nouvelle société qui ne connaîtra pas la peur, la
vieillesse, les différences de classes, la propriété
privée, une nouvelle société dont l’un des plus
illustres pionniers et apôtre, nous le découvrons dans sa
pièce témérairement moderne et osée, E.B., notre
combattant et compagnon de lutte dans le futurisme, dans l’art du futur.
Döme Kassák junior.
Opérette volante
Nous devons le dire franchement : il y
a de graves soucis avec le Théâtre Volant. Cette institution qui
dans les années quatre-vingt était encore conforme aux exigences
de la technique scénique, a été ces derniers temps
passablement négligée par ses propriétaires. Nos
abonnés ne cessent de se plaindre que chaque soir ce
théâtre atterrit avec cinq ou six minutes de retard à la
station de la place Gizella où le public doit
monter à bord. Les appareils sont également en mauvais
état, il leur faut parfois plus d’une demi-heure pour atteindre
une altitude de trois mille mètres, si bien que le premier acte est
constamment dérangé par le vrombissement des excursionnistes en
vols de retour chez eux ou des avions postaux, trop bruyants. Avec cet
équipement technique désuet et désormais anachronique le
programme offre malgré tout quelques compensations. En effet, le niveau
du programme est incontestablement moderne et à jour avec les
progrès de l’histoire de l’opérette.
L’opérette intitulée « La mouette
d’argent », la salle affiche complet depuis des semaines,
porte sur la scène une idée originale, très
spirituelle : un comte, déguisé, conquiert la princesse et
ils s’aimeront.
Sándor Bródy écrit une pièce
Notre collaborateur a rendu visite à
Sándor Bródy[1] ce matin à la piscine Rudas. Bródy, entouré de la chaleureuse
sympathie de tous a célébré hier son cent
cinquante-deuxième anniversaire. Papa Sándor est plus jeune que
jamais, plein d’ambition et de forces.
- Je travaille actuellement à
la pièce intitulée « Bura »
- raconte-t-il sur ce ton direct si reconnaissable. – Cela fait à
peine cent deux ans que j’en ai lancé l’idée à
Beöthy, et déjà je prends au
sérieux l’idée d’y réfléchir
prochainement. Que faire, à un vieil homme comme moi seul le travail
peut encore prêter un peu de goût à la vie.
- Mais vous n’êtes pas
vieux, papa Sándor – ceci nous échappe involontairement, en
regardant ses joues rouges et ses yeux bleus
Papa Sándor sourit.
- Tu crois ? Peut-être que
c’est vrai. Je me porte bien, seul mon fils, Bandi, me cause du souci.
Cet enfant n’arrive pas à maîtriser son tempérament,
il est vrai qu’il n’a que cent vingt ans, mais il fume trop,
j’ai beau le gronder et lui dire qu’il peut observer sur moi les
méfaits du tabac.
Nous le quittons rassurés :
Monsieur Sándor travaille.
Brèves
Une pièce de Molnár au
Théâtre Herczeg.
La prochaine première du
Théâtre Herczeg sera une pièce de Molnár, le
« Liliom », que le
théâtre compte monter dans des costumes d’époque. La
scène 3 promet d’être particulièrement
intéressante. Elle se joue en effet dans la partie du centre-ville qui
à l’époque du début du vingtième
siècle n’était encore qu’une forêt vierge.
Avant le spectacle c’est Domokos Lukács
qui fait une conférence sur les questions politiques et sociales qui
tout au long des cinquante dernières années ont enrichi la
littérature d’une bibliothèque entière autour de
cette pièce. Il démontre dans sa conférence que Liliom, ce personnage symbolique, est en
réalité Lloyd George, l’homme politique majeur de
l’époque. Molnár, dans un style symbolique et
allégorique, à la mode de son époque, a choisi cette forme
pour pouvoir proclamer depuis la scène ses vues philosophiques et
politiques. L’héroïne de la pièce, Julika,
est tout aussi symbolique. Aujourd’hui, à travers la perspective
de l’époque, on reconnaît immanquablement en elle
Madame Curie, la découvreuse du radium.
Une pièce de Herczeg au
Théâtre Molnár.
Le Théâtre Molnár se
prépare à la reprise de la pièce « Le brigadier
Ocskay » de Ferenc Herczeg. Ce charmant
drame social qui présente sur la scène la vie intime de son
temps, offre beaucoup de données en matière d’histoire
culturelle à tous ceux qui sont intéressés par la culture
du vingtième siècle et qui préfèrent une
représentation franche et sincère de leur temps à une
vision historique morne et saturnienne.
Le destin du Théâtre
Madách.
Au sujet du Théâtre
Madách, apparemment une décision va enfin être prise, pour notre
plus grande joie. La dernière requête de l’Académie
de Musique dans laquelle ils exigent un déménagement de ce
théâtre, a pour le moment été écartée
sous l’argument qu’aussi longtemps que le théâtre
n’a pas trouvé de nouveaux locaux, il faut à tout prix
donner une chance à cette jeune compagnie de développer son
travail culturel. Vilmos Rácz XXXVI,
le directeur dynamique et généreux du
Théâtre Madách, négociera dans les jours
prochains avec le ministre dans cette affaire, ce qui fait que, à la
satisfaction générale, on saura enfin qui a raison sur cette
question : l’Académie de Musique ou le
Théâtre Madách.
On a retrouvé la première
action du Théâtre Union.
À Buda, dans l’ancien Pest,
lors de la démolition d’un immeuble, on a retrouvé la
première action émise lors de la création du
Théâtre Union. Pour la plus grande joie des collectionneurs
de monnaies et médailles, ce premier billet de banque de la
principauté Beöthy, qui en son temps a
joué le rôle de simple titre de change, a été
retrouvé à l’état quasiment neuf sous les
décombres.
Un écrivain martien.
Notre correspondant nous envoie de Mars la
dépêche suivante : un nouvel auteur dramatique a fait
apparition durant la saison dernière. Sa pièce « Le
fils de la chance » a été jouée
sur Mars avec un grand succès. Les agences terrestres s’en sont
arraché les droits. Le nom de ce nouvel écrivain est
Gábor Drégely[2], le bruit court que sa famille serait
d’origine terrestre.
Procès en plagiat sur Mars.
Notre correspondant sur Mars nous
écrit : un retentissant procès en plagiat fait monter la
fièvre dans le monde théâtral : la pièce
intitulée « Le fils de la chance » de
l’écrivain martien Péter a été montée. Un
journaliste a prétendu que l’idée de la pièce a
été empruntée par l’auteur à Gábor Drégely, un écrivain hongrois du
siècle précédent, sans l’avoir signalé sur
l’affiche. On a cité comme témoin Aladár Marsalkó (anciennement Martien),
l’arrière-petit-fils de la grande cantatrice.
Festspiel à Bayreuth. (de
notre correspondant critique).
Le Siegfried de Wagner exerce toujours un
effet monumental, la nouvelle orchestration pour les fugues électriques
et les violons organiques rotatifs a parfaitement
réussi. Seuls les meilleurs connaisseurs en histoire de la musique
soulèvent l’unique défaut de l’œuvre : la
monotonie des motifs, ce qui bien sûr peut être attribué aux
œuvres sources de Wagner : les lieder de Zerkovitz,
dont l’influence traverse l’opus tout entier.
Démenti.
Gedeon Lázár,
le directeur de l’Union, dément par la présente le bruit
répandu selon lequel l’Union aurait acheté le
Théâtre de la Cité.
Nouvelle
Génération contre Az Est.
Un débat intéressant est en
cours entre les deux journaux les plus prestigieux de notre capitale :
Nouvelle Génération et Az Est.
Ceci à l’occasion de la mise sous presse par Nouvelle
Génération des œuvres posthume de Ernő Szép[3] (relié 90 tourouls,
broché 80 tourouls, sur disque de
phonographe 95). Or, Az Est a lancé une
grande polémique afin de démontrer que cette personnalité
intéressante de la littérature du début du XXe
siècle n’était en réalité pas un
écrivain, et de plus il n’était pas hongrois. Nouvelle Génération
a immédiatement déclaré la guerre à cette
conception, et consacre une série d’articles pour souligner les
vrais mérites de Ernő Szép dans l’édification de la culture
hongroise.
[…][4]
Színházi
Élet, 1920, n°14