Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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les chiffres de ma vie

Description : Description : C:\la tour\DOSSIER ZUT\FRIGYES\Site KF\Fonds d'écran\1935 fonds\Les chiffres de ma vie l.jpgon premier souvenir, en réalité, ne date pas de quarante-cinq ans comme les dates le voudraient, mais de cent mille ans.

Je me rappelle avec précision l’instant où de quatre pattes, je me suis dressé sur deux pattes.

J’ai mangé mon premier abricot à trois ans.

C’est à quatre ans que j’ai appris à nager. Flotter en trois dimensions a fait sur moi une grandiose impression. Je crois que c’est à ce moment-là que m’est venu le désir de voler, et je suis persuadé que cette date coïncide avec l’ère où mon espèce, l’homme, a également ressenti le besoin de se rajouter artificiellement des ailes.

C’est à six ans que j’ai commencé à réfléchir. J’ai fait depuis de nombreuses petites découvertes dont je ne peux pas pour l’instant parler à mon espèce encore mineure, je peux tout au plus m’adresser à elle dans un langage que l’on utilise avec les élèves des écoles élémentaires. Je me suis efforcé de lui parler sur un ton qui lui convienne. C’est la raison pour laquelle en ma qualité dite d’écrivain je n’ai pas développé un style personnel. En écrivant je ne pense pas à moi, je dois penser en permanence à ceux à qui je m’adresse.

Je sais bien que je ne suis pas le seul. Il y a beaucoup d’autres au monde qui, sinon consciemment, en sont grosso modo au même point que moi. Ceux-là comprennent bien de quoi il s’agit. Inutile de leur expliquer.

J’ai rencontré un grand nombre d’hommes aimables. Personnellement ou par écrit. Leur compréhension et leur affection représentent pour moi beaucoup de souvenirs agréables.

Le premier cadavre que j’ai vu était celui de ma mère.

La première femme que j’ai aimée était ma femme qui maintenant est également morte.

Le bonheur enivrant de la poésie, je l’ai connu à douze ans.

À dix-huit ans, celui de la science.

À l’âge de vingt ans j’ai connu l’ivresse de l’eau-de-vie d’abricot.

J’aime beaucoup en outre le poulet au paprika et les gnocchis au fromage de brebis. C’est à vingt-cinq ans que je suis pour la première fois devenu père – mais on m’avait appris à tuer déjà plus tôt, systématiquement, pendant deux mois de formation. Je n’ai pas encore utilisé dans la pratique cette connaissance.

Une femme inconnue m’a giflé il y a quinze ans, par erreur.

J’ai trouvé la vie des termites et des guêpes très intéressante, et voici quatre ans j’ai passé une nuit d’orage à bord du Zeppelin.

Trois fois je me suis trouvé en danger de mort. J’ai compris qu’il ne faut pas avoir peur de la nature, seulement des êtres vivants.

L’année dernière nous avons eu un très bel automne. En 1931 le thermomètre est descendu jusqu’à -31°C à Kecskemét. Aujourd’hui je ne suis pas de trop bonne humeur, car j’ai certaines démarches à faire et je saurais en imaginer de plus intelligentes et de plus sympathiques. Entre autres la constitution du présent C.V.

 

Színházi Élet, n° 43, 1935.

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