Capillaria

 

 

Introduction

 

Je me réjouis de la chance qui est de nouveau la mienne de pouvoir présenter au public le sixième journal des voyages de Gulliver, jusqu'ici inconnu. Mon éminent devancier dans la recherche et la mise en publication des manuscrits et legs de Gulliver, Jonathan Swift a fait paraître quatre volumes complets sous le titre de "Gulliver's Travels" tirés des impressions des voyages de son héros à Lilliput, à Brobdingnag, à Laputa et chez les Houyhnhnms. Voilà environ deux ans j'ai réussi à dénicher une copie malheureusement fragmentaire du cinquième manuscrit original de Gulliver que j'ai publié sous le titre de Voyage à Farémido ; les amis de l'excellent voyageur et amateurs de ses paisibles et pieuses idées se rappellent certainement ce récit qui, compte tenu de la modeste importance des données géographiques et ethnographiques qu'il dévoile, ne supporterait certes pas la comparaison avec les œuvres immortelles de Stanley[1], Nansen[2] ou Vambéry[3], néanmoins, par la fidélité honnête et candide de ses observations ainsi que par l'humanisme et le patriotisme flamboyants qui en émanent il aura sans aucun doute sa place parmi les ouvrages que tout pédagogue pourra recommander à l'enseignement de la jeunesse, pour en développer les connaissances et en approfondir la solidarité sociale. Ce sont autant de vertus que l'on retrouve sans exception dans toutes les œuvres de Gulliver. Le récit de voyage qui suit dont le sujet est Capillaria ou en d'autres termes, le pays des femmes, abstraction faite des descriptions de paysages et des observations topographiques et naturalistes peut-être peu exigeantes mais fidèles et crédibles, privilégie l'amour pur et chaleureux et par là-même offre une lecture que l'on ne saurait trop recommander à tous ceux qui ne cherchent pas le fantastique débridé et horrifique mais la simplicité et la sincérité avec lesquelles notre auteur exalte la beauté idyllique de la vie de famille, les joies quotidiennes de la relation homme-femme et toutes les lois sages, humaines ou divines, qui dans la société telle qu'elle est permettent à l'homme et à la femme de vivre une noble harmonie pour la perpétuation et le bonheur parfait de la glorieuse espèce humaine.

 

Frigyes Karinthy

 

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[1] Henry Morton Stanley (1841-1904). Connu pour son exploration de l’Afrique.

[2] Fridtjof Nansen (1861-1930). Explorateur polaire norvégien.

[3] Ármin Vámbéry (1832-1913). Orientaliste hongrois, explorateur du Moyen Oient.