Frigyes Karinthy :  "Dictionnaire simplet"

 

 

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rÉveille-matin,

cloches, réveillite (voir : maladies des oreilles, insomnies, coq sourdingue)

 

Éspèce connue de rapace qui saisit sa proie d’une manière très particulière : par les oreilles. Lors d’une minute d’inattention (voir : araignées), en général quand l’animal est endormi, il se jette brusquement sur sa victime et il pousse un si énorme hurlement dans son oreille que la tête du malheureux endormi se fend, là-dessus le R.M. lui suce le sang et le dévore. Il n’attaque que très rarement ; en état de repos les gens inexpérimentés, pour cette raison, l’imaginent inoffensif et l’agacent de toutes sortes de façon : ils le font marcher comme un bébé, ils lui parlent, ils le remontent (cf. taquiner, irriter) et lui apprennent à attaquer. Il a très peu d’intelligence : il ne peut pas porter un panier, ni se tenir sur deux pattes, il a beaucoup de mal à compter, après s’être cassé la tête durant des heures. Un des signes particuliers de sa médiocre intelligence est de ne pas reconnaître son propre maître : il confond habituellement l’homme qui se couche avec celui qui se lève, et si par exemple l’homme se couchant lui a appris qu’au matin, après avoir difficilement compté huit heures, il doit hurler, alors il hurle et il est très étonné quand un autre homme qui vient de se réveiller lui administre pour ce hurlement une telle claque qu’il aperçoit trente-six chandelles. Connaissant son infirmité des gens malveillants l’excitent souvent le soir avant de se coucher, afin de jouer un mauvais tour à l’homme qui sera couché le matin dans leur lit et qui ne sera au courant de rien ; dans de telles circonstances le R.M. domestiqué compte fidèlement et, trompé par la similitude extérieure et insignifiante qui existe entre les visages des deux hommes, réveille sa victime le matin en hurlant.

La protection contre le R.M. a très peu de bases théoriques mais un large champ d’applications. Voici quelques-uns des procédés réunis jusqu’à aujourd’hui :

1. Si nous nous trouvons face au R.M. attaquant, nous pouvons l’abattre d’un tir bien ajusté. S’il respire encore, on pourra le noyer dans le lavabo.

2. À la minute de l’attaque il convient de lui jeter brusquement un édredon sur la tête et de s’asseoir dessus. Il vaut mieux s’être procuré bien à l’avance des isolants sonores (amiante, colophane).

3. À la minute de l’attaque ne mettons pas le R.M. sous l’édredon mais fourrons-y plutôt nos propres oreilles, puis asseyons-nous dessus.

4. Ne nous asseyons pas sur l’édredon mais fourrons le plutôt dans nos oreilles.

5. Fourrons dans nos oreilles le R.M. lui-même, puis deux épaisses couches de coton (larges de 4 à 5 cm) et par-dessus, une compresse froide. Si cela ne cesse toujours pas, il est possible d’appliquer des gouttes d’Hoffman et de l’esprit-de-vin.

6. On peut injecter une solution peu diluée d’acide chlorhydrique à l’intérieur du R.M., cela lui rongera les organes internes.

Le combat contre le R.M. n’est pas conseillé : les gens soupe au lait et de nature brutale qui auraient tendance à se jeter simplement sur le R.M. attaquant et qui, roulant par terre sur le tapis, puis sous le lit, émettant de violents cris de guerre étranglent le cou du R.M., et qui le triturent et le boxent dans un féroce désespoir, et qui cognent leur tête à la gueule du R.M. pour le faire taire, gaspillent inutilement leur force. Il vaut mieux l’approcher par-derrière, prudemment, et le frapper par surprise.

Selon une nouvelle théorie fantastique (voir Marinetti, les futuristes), une méthode pour se protéger contre le R.M. serait de sauter du lit et de s’enfuir. Il paraît que le R.M. ne poursuit pas sa victime. Toutefois cette théorie n’a pas encore été vérifiée.

 

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