Frigyes Karinthy :  "Dictionnaire simplet"

 

 

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arts plastiques,

peinture, etc. (voir : prothèse de main, prothèse de pied, rétrécissement gastrique)

 

Type particulier d’escroquerie et autres tricheries de moindre gravité, exercées par certaines personnes prédestinées que la police  désigne par le terme d’artistes (A.). Par exemple si un individu ayant de tels penchants voit une montagne derrière laquelle il y a, disons, deux montagnes, une rivière devant et d’autres choses de ce genre, l’individu de cette espèce, qui médicalement parlant est passablement enclin à la susdite délinquance, voit s’éveiller en lui l’inclination d’en fabriquer une lui aussi, sans que quiconque s’en aperçoive, et d’essayer de la revendre comme si c’était une œuvre originale. Étant donné, naturellement, qu’il ne pourrait pas les refaire avec de la terre ou d’autres matériaux, l’A. regarde prudemment autour de lui et si personne ne le voit, il entreprend l’opération de falsification. À cette fin il prend un morceau de toile vide et il y dépose à un endroit donné de la peinture d’une couleur identique à la couleur de la montagne, faisant en sorte que le client éventuel s’imagine qu’une vraie montagne se trouve sous la peinture. Outre ce délit, il commet également ce qu’on doit bien appeler une tricherie optique, dans la mesure où il obtient en traçant divers traits que sur la toile certaines choses paraissent être situées plus loin que l’endroit où l’A. les a peintes ; par conséquent si nous avons l’intention d’acheter, il est recommandé de vérifier avec le doigt si nous n’avons pas simplement affaire à une vulgaire falsification (peinture, tableau) visant à tromper le regard. Si le doigt cogne dans un objet dont nous pensions qu’il était plus éloigné, cela signifie de toute évidence qu’en dessous il y a de la toile et que nous sommes victimes de tricherie optique. La loi ne réprime pas encore la tricherie optique, et par ailleurs depuis quelque temps elle devient moins fréquente, pour une bonne part grâce à un inspecteur de la police nommé József Rippl-Rónai[1] qui, vêtu d’un déguisement, s’est infiltré dans l’antre du vice des A. pour dévoiler leurs machinations. On doit à sa main de fer toute une série de nouvelles ordonnances et de normes qui limitent la fabrication d’une nature falsifiée (en argot des malfrats : tableau, peinture). C’est lui qui a le premier reconnu la nature dangereuse de ces pratiques et surtout celle de la tricherie optique, falsification de la nature, et par ses rigoureuses instructions il a rendu impossible ce préjudice aux personnes inexpérimenté. En vertu de son ordonnance, celui qui peint la nature sous quelque prétexte que ce soit, même par passe-temps ou distraction, est tenu de signaler d’une façon quelconque le caractère ludique de son œuvre afin qu’on ne puisse pas la confondre avec la nature originale et la donner en location comme telle. Cette signalisation peut se faire en tout lieu et par tout moyen approprié ; si par exemple quelqu’un peint un homme, il doit lui attribuer deux têtes et six doigts pour attester qu’il n’avait nullement l’intention de falsifier ni d’induire quiconque en erreur, et qu’il n’a pas le moins du monde l’intention de représenter l’homme peint comme un original et prêter ainsi à confusion. Ceci concerne également les falsifications intitulées portrait. Sur le côté, dans un des coins de l’imitation le nom de l’imitateur doit figurer, afin de le distinguer de la nature originale dans le coin de laquelle ne figure pas le nom du créateur.

La plus grande partie des anciennes falsifications ont déjà été réquisitionnées et ont été entassées comme pièces à conviction dans l’entrepôt de la police nommé Musée des Beaux-Arts.

Une autre variante plus primitive de l’escroquerie intitulée arts plastiques est ce qu’on appelle la sculpture ; celle-ci est créée par l’A. qui dépeint quelqu’un ou quelque chose avec une épaisseur telle qu’on arrive à le gratter de la toile et par conséquent l’employer séparément. Dans ce domaine le contrôle est beaucoup plus facile : il est plus difficile de confondre la sculpture avec l’original. Nos lois les plus récentes ont rendu cette escroquerie encore plus difficile par une double mesure : premièrement on n’a le droit de sculpter quelqu’un qu’une fois mort et ainsi la comparaison avec l’original est rendue plus compliquée vu qu’on le rencontre moins souvent, et deuxièmement, nos sculptures sont généralement commandées à des sculpteurs hongrois.

 

Suite du recueil

 



[1] József Rippl- Rónai (1861-1927). Peintre hongrois.