Frigyes Karinthy :  "Dictionnaire simplet"

 

 

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rire

(ridicule, risible, humour, voir Hums, aïeux des Hongrois)

 

État particulier qui peut être provoqué par de l’humour ou par du ridicule. Selon la théorie de Bergson l’humour se produit si nous inversons les choses qui se font mécaniquement et si nous les considérons comme si elles n’étaient pas inversées. Illustration : si par exemple quelqu’un s’installe par distraction tout habillé dans la baignoire en s’imaginant qu’il s’est installé dans son fauteuil, puis si un moment plus tard quelqu’un inverse le robinet de la douche et que le sujet considère qu’il n’a pas été inversé donc il reste assis dans la baignoire : dans ce cas l’humour (le ridicule) devient observable et il va mouiller le sujet. Ce même état chez d’autres personnes peut provoquer des convulsions particulières du muscle ventral qui peuvent remonter jusqu’à la bouche et par la bouche jusqu’aux oreilles, ce qui peut être attesté par l’anatomopathologie. C’est ce que nous appelons le rire. Le rire est un symptôme très fréquent et la mise en mouvement du muscle ventral peut exercer une très bonne influence sur la digestion, beaucoup le provoquent par des moyens artificiels et indirects. Ce sont des individus spécialisés, appelés humoristes, qui sont chargés de provoquer cet état, ils ont le droit d’inverser les choses avec autorisation du directeur général de la police sans que quiconque puisse pour autant porter plainte contre eux. Ce sont ces gens-là qui ont par exemple retourné la statue de Ferenc Deák ou pire encore la Basilique : si nous la regardons du boulevard Váci, on dirait qu’elle n’a pas été retournée ; elle peut susciter une impression de ridicule, car en fait elle a bel et bien été retournée, que Bergson le veuille ou non, et elle a l’air d’être en mauvais termes avec le boulevard Váci.

L’humoriste a aussi une autre arme, l’exagération, c’est-à-dire qu’il en dit plus que la réalité (voir : le garçon de café), si par exemple dans un litre de lait à Budapest il y a un demi-litre d’eau, l’humoriste dira que ce lait est tout plein d’eau. Ou par exemple, si dans le lait de Budapest il y a un cafard, l’humoriste dira qu’il y a un crocodile dans le lait de Budapest. C’est un autre moyen de provoquer le remuement du muscle ventral évoqué plus haut, ce qui dans ce cas est particulièrement avantageux parce que le fait de remuer le muscle ventral permet de rendre le lait ci-dessus.

D’autres outils de l’humoriste sont les idées ou jeux de mots, ce qui se met en œuvre de la façon suivante : à la place d’un Persan on dira passant ou encore pour cent. Toutefois la mode en commence à passer car beaucoup faussent le jeu en trichant.

Une autre façon de provoquer le rire est de faire semblant que quelque chose ne va pas, les autres croient que pour eux la même chose va bien et cela intensifie leur digestion. C’est le but des soi-disant comédies dans lesquelles un des comédiens joue à tromper un autre comédien avec un troisième comédien, ce qui fait rire le spectateur parce qu’il ignore que pendant ce temps c’est lui que l’on trompe à la maison avec un quatrième comédien. C’est ce qu’on appelle un plaisant gâchis alors qu’il s’agit d’un gâche plaisirs.

Selon Greguss[1], il faut chercher l’humour, c’est-à-dire le ridicule, parmi les larmes, autrement dit l’humour c’est le sourire parmi les larmes. Pour comprendre cela, il faut s’imaginer par exemple que quelque part des gens pleurent et qu’on se met au milieu d’eux et qu’on sourit. Cela permet d’atteindre de très intéressants résultats sur le plan de l’intensification de la digestion, et avec tout ce que les gens peuvent pleurer à Budapest, on peut sourire à en crever et on peut se tenir le ventre de sourire. Toutefois il faut faire très attention de ne pas se mettre au milieu de personnes qui sont également venues pour bien pouvoir sourire avec nous.

Selon d’autres philosophes le ridicule peut être recherché tout près du sublime, à deux pas. Il peut être très simplement trouvé : on se rend au sublime, on s’arrête à deux pas devant lui, ensuite on y va tout à fait, on fait demi-tour et on fait deux pas en arrière : il en résulte qu’on n’est séparé que de deux pas du sublime.

Selon la dernière découverte de la médecine ventrale, rira bien qui rira le dernier. De ce point de vue là, les gens les plus sains sont donc ceux qui, une fois que toute la société a bien ri d’une blague, une demi-heure plus tard, se mettront également à rire car c’est le laps de temps qu’il leur fallait pour comprendre le sens de la blague. Rire le dernier est ainsi devenu une des plus grandes ambitions de l’humanité.

 

Suite du rewcueil

 



[1] Ágost Greguss (1825-1882). Philosophe hongrois.