Frigyes Karinthy : "Nouvelles diverses"

 

afficher le texte en hongrois

Ordre du jour

 

Chef de bataillon : colonel Voyons.

Officier de semaine : capitaine Dessous.

Caporal de semaine : caporal Rantanplan.

Soldat de service : fantassin Trousse.

Manœuvres : demain matin, sept heures. La compagnie, prête à six heures.

Garde-à-vous !

Ces derniers temps toutes sortes de saloperies traînent au bout du couloir. Celui qui est incapable de veiller sur son couloir c’est pas un soldat, c’est un abruti. Celui qui jette des morceaux de papier et des rognures de viande, et qui balance des mégots de cigarette dans la conduite d’eau, c’est un homme sans honneur, un homme sans caractère, un homme comme ça vaut pas mieux qu’une bête brute. Même une bête brute sait où il faut jeter les morceaux de papier et le mégot de cigarette une fois qu’elle a fini de fumer le mégot de la cigarette qu’elle avait fumée avant. Si j’entends encore le moindre bruit sur mon aile gauche, je fais mettre toute la compagnie au garde-à-vous et nous ferons un petit exercice salutaire jusque vers les neuf heures. Dites donc, fantassin Maródi, vous voulez que je vous serve un repose-pieds ?

Garde-à-vous !

Le colonel a donné l’ordre que ceusses qui sont pas de service l’après-midi, pendant les occupations doivent s’occuper à quelque chose, et surtout à ce qu’ils savent y faire ou à ce qu’est leur métier dans le civil, quoi. Avec ça, le colonel veut qu’en partie tout le monde peut s’exercer dans son métier, ce qui est utile pour lui-même, au moins il l’oubliera pas complètement, et en partie ça peut servir à l’armée. Repos.

Garde-à-vous ! Eh vous là-bas, engagé Dubeaubosquet, vous prétendez que vous êtes quelqu’un d’intelligent et vous êtes pas foutu de savoir qu’au garde-à-vous il faut placer le petit doigt sur la couture du pantalon. Vous faites quoi dans le civil, engagé ? Journaliste ? Que voulez-vous que fasse alors un stupide paysan si vous qui venez d’un journal vous êtes pas capable d’apprendre qu’au garde-à-vous on coupe pas la couture du pantalon avec les pouces écartés ? Hein ? Et, puisque vous êtes journaliste, après l’exercice vous venez me voir et vous écrivez les nouvelles plaques signalétiques à placer sur les lits. Repos !

Garde-à-vous ! Vous, engagé Fekete, qu’est-ce que vous faites dans le civil ? Astronome ? Vous êtes pas astronome, engagé, mais : « Je vous déclare, sergent, que je suis astronome ! » Compris ? C’est ça votre métier. Où vous avez appris cette façon de lancer « astronome » du bout des lèvres ? C’est ce qu’on vous apprend à l’astronomie ? ça m’étonne, si vous voulez savoir. Je croyais que chez les astronomes on apprend un peu les bonnes manières, sans quoi c’est pas bien gai le métier d’astronome. Vous viendrez me voir pour coudre les étoiles sur le treillis du caporal Tamère qui a été promu. Mais je vous conseille de travailler comme si vous le feriez dans le civil quand vous tenez votre boutique, compris ? Pas « oui » mais « J’ai bien compris, sergent », parce qu’ici on est pas à la noce, qu’on puisse causer aussi longtemps qu’on a envie, mais chez le soldat le principal c’est la concision. Repos !

Garde-à-vous !

Engagé Inapte ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Ingénieur diplômé ? Vous me voyez très étonné que vous savez pas mesurer l’intervalle d’un empan qui doit être respecté entre deux soldats, mais vous collez au fantassin Szabó comme un timbre. Alors vous, vous viendrez me voir après l’exercice et vous écrirez un diplôme pour moi, compris ? Je vous dirai à qui vous écrirez et quoi ; je suis curieux de savoir si vous vous y connaissez mieux en diplomatie qu’en alignement. Repos !

Garde-à-vous !

Fourré, après l’exercice tu descendras à la cantine et tu monteras une cannette de bière pour moi. Repos !

Garde-à-vous !

Rompez !

Az ÚjsÁg 15 février 1913

Suite du recueil