Frigyes Karinthy : "Souvenirs de Budapest"   

 

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"souvenirs de budapest"

(Préface)

L'homme dont je veux noter les souvenirs est né à Budapest, dans le quartier de Józsefváros. C'est sans doute avenue Rákóczi (alors avenue Kerepesi) qu'il a vu des tasses, des cartes postales, des bols et des prothèses de jambes sur lesquels était gravé, manifestement en raison du tourisme : "Souvenir de Budapest". Par la suite, il a achevé l'école élémentaire rue Rigó, ses huit classes secondaires au lycée de la rue Markó, et il a roulé sa bosse à l'université pour finir comme journaliste. Il est conscient que son destin et sa vie sont tout à fait inhabituels et que dans la classe sociale au milieu de laquelle il vit ici à Budapest, les autres personnes sont complètement différentes, elles ont fait des études supérieures à Oxford ou à Cambridge, elles sont nées dans les locaux du Park Club et ont majoritairement passé leur jeunesse dans la pénombre de couvents de religieuses – les souvenirs de notre homme de Budapest leur sont généralement étrangers. Il souhaite néanmoins noter certains d'entre eux enfouis dans sa mémoire, documents de sa vie triste et mouvementée, mais, je le répète, il souligne qu'il est bien conscient de ce que personne n'est au courant des événements dont il va parler, évidemment personne ne les a traversés, et que des gens aussi distingués sont à mille lieues de ces choses terre à terre et mesquines, car, comme je le disais, il est fort conscient que toutes ces personnes qu'il a pu connaître dans les cafés éblouissants de cette ville brillante et illustre qu'est Budapest avaient déjà été gourmandés dans leur petite enfance par leurs parents de haut lignage s'ils ne voulaient pas accrocher une chaîne d'or à leur gilet et porter un chapeau haut de forme et dormir jusqu'à midi et venir au café l'après-midi et s'y enraciner jusqu'au soir parmi d'autres messieurs semblablement distingués et de haut lignage de Budapest et le soir changer de café et y rester jusqu'au matin et rentrer ensuite à la maison pour se coucher et dormir jusqu'au midi du lendemain. C'est à ces âmes aristocratiques, piliers de nos grands cafés brillants et illuminés, que cet homme souhaite révéler quelques-uns de ses souvenirs, pour eux inhabituels et inconnus, en reconnaissance d'avoir bien voulu parfois lui adresser volontiers et gracieusement la parole, de lui avoir permis de fréquenter leurs grands et illustres cafés et de s'asseoir à leurs tables distinguées. Ils riront peut-être de ces épisodes particuliers et exotiques, mais je souligne encore une fois à quel point je suis conscient que s'ils rient à ces histoires c'est parce qu'ils les trouveront étranges et nullement parce qu'ils les auraient connues, ce qui serait évidemment exclu.

 

Suite du recueil