Frigyes Karinthy :  Théâtre Hököm

 

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Le Cabaret

 

(Quelques mots sur le genre)

 

Les scènes qui suivent sont pour le cabaret. Je dois en avoir écrit une centaine, selon les idées, les caprices d’un directeur ou les trous dans un programme. J’en ai réuni ici quelques-unes et je vous les propose pour lecture ; je sais bien, dans deux cents ans, si quelqu’un repasse par chez nous, ce qu’il remarquera de prime abord, c’est la flamme dans notre regard et nos bras écartés, pendant que nous déclamions sur le destin de l’humanité et l’éveil éternel – ou le drôle de nœud de nos chaussures, la couleur de notre cravate, notre façon de nous racler la gorge.

Le genre lui-même fut inventé à Pest. Il s’agissait au début de courts dialogues, de parlers amusants, sur n’importe quel sujet d’actualité. Moi j’ai essayé de faire autre chose : j’ai inconsciemment défini les cadres, et le résultat a justifié mon hypothèse qu’il s’agit d’un genre mineur très spécifique ayant ses propres lois internes particulières. Et, en tant que genre authentique, il est indépendant de l’actualité – je vous dis cela franchement, je ne crois pas qu’il doive absolument être lié aux actualités du jour. Un drame minuscule, mais un drame : sa pensée ou sa problématique expriment in specie æternitatis tout autant la vie que les comédies ou les tragédies en cinq actes. En ce qui concerne ses lois… À ce propos j’ai dit un jour de façon concise au directeur d’un cabaret qui avait habitué son public au style de l’humour à la mode chez nous, et qui se souciait qu’il n’y avait pas assez de blagues dans le texte que je lui avais remis : « Cher Monsieur le Directeur, on ne peut pas raconter une blague en blaguant ! » La chute d’une blague (son idée, sa pensée, sa philosophie, son symbole, si vous préférez) ne tombe à la fin que si je la raconte sèchement, avec le plus grand sérieux.

Mais cela fait peut-être déjà trop de mots. Il ne m’appartient pas de m’expliquer. Je prie mon lecteur de prendre ces scènes au sérieux, de m’écouter moi qui ne peux pas m’écouter – de s’occuper de moi qui n’ai pas le temps de m’en occuper – et de me faire confiance, et de ne craindre rien.

 

Budapest, juin 1922                                                                                         Frigyes Karinthy.

 

Suite du recueil