Frigyes Karinthy :  Théâtre Hököm

 

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c'était une blague ![1]

 

Le baron (dort dans son petit lit et dans son sommeil il imite un homme ordinaire qui ronfle comme un artisan.)

Le comte (force avec un levier la fenêtre du rez-de-chaussée donnant sur la cour.)

Le baron (ronfle.)

Le domestique (tend l'oreille depuis la chambre de bonne.)

Le comte (pousse la fenêtre et rampe prudemment dans l'antichambre, il tâtonne.)

Le domestique : Non mais des fois, qui crapahute dans l'antichambre ? (Il y va, il rencontre le comte.)

Le domestique (se méprend, il s'imagine que quelqu'un se serait faufilé par la fenêtre dans le but de cambrioler) : Oh, oh, salaud de cambrioleur, qu'est-ce qu'on manigance là ?!

Le comte (cogne le domestique à la tête avec son browning et le tue.)

Le baron (rêve qu'il est réveillé.)

Le comte (pointant son browning devant lui, il ouvre prudemment le bureau de travail du baron.)

Le baron : Ahouah ! (Il bâille. Il s'étire.)

Le domestique  (commence à se décomposer.)

Une punaise : En principe je n'aime pas le sang bleu, mais j'ai faim. (Elle pique le baron.)

Le comte (sort ses outils de cambrioleur et s'apprête à forcer le coffre.)

Le baron (la punaise le réveille.)

Le comte (a ouvert le coffre, il ramasse l'argent. D'un geste caractéristique chez les aristocrates, il fourre les billets dans la poche de son gilet.)

Le baron : Hé… non mais, qui farfouille là dans mon bureau ? Jean ! Holà, Jean !

Le domestique (regrette, mais il est mort.)

Le baron : Oh le saligaud, il ne vient pas. Je vais voir. (Il fait un saut dans son bureau.)

Le comte (saute vers la fenêtre.)

Le baron : Ah bon ! Un cambrioleur ! Un policier ! Un policier !

Un policier (dans la rue) : Oh, c'est la voix de Monsieur le Baron ! ça change tout, alors j'y vais. (Il court à la fenêtre par laquelle le comte lui saute justement dans les bras.)

Le policier : Tiens donc, te voilà, toi ! (Il l'attrape.)

Le comte (sort son browning mais on le lui arrache de la main.)

 

On téléphone. Des policiers accourent. Arrive également le capitaine de police. Le comte proteste, il se débat, mais on finit difficilement par le maîtriser. Les policiers parcourent les pièces, ils retrouvent le coffre-fort fracturé et le domestique abattu. Ils fouillent dans les poches du comte et trouvent l'argent.

 

Le capitaine de police : Alors, voyons un peu, qui es-tu ?!

Le comte (sort une carte de visite) : Je suis le comte Magnat, du Park Club.

Le capitaine de police : Ehehmeheh

Le baron : Ah, mais c'est Poldi ! Also, Poldi, quelle drôle d'idée tu as eue là, tu avais un si pressant besoin d'argent ? Un sacré gamin, ce Poldi. C'est inouï, ça !

Le capitaine de police : Pardonnez-moi, Messieurs, de vous interrompre, mais la situation est suffisamment complexe pour que je sois obligé de demander à ces Messieurs de bien vouloir entrer dans nos bureaux pour régler cette affaire.

Le comte : Ha, ha, ha ! Ha, ha !

Le capitaine de police  (effaré) : S'il vous plaît, pourquoi riez-vous ?

Le comte : Ha, ha, ha ! Ha, ha ! C'est excellent. Je vous ai bien eus. C'était une blague.

Le capitaine de police  (tombe sur un chèque qui traîne par terre. Il balbutie) : He… be… be… hebe-berebeHebrebebehe

Les policiers (en chœur : Hebe… he… hebrehe

Le capitaine de police : Ha, ha, ha ! Ha, ha ! Très drôle. C'était une blague. Évidemment. Ha, ha, ha ! (Vers les policiers) : Alors couillons, pourquoi vous restez plantés là ? Vous n'avez pas entendu ? Monsieur le Comte n'a fait que plaisanter.

Le chœur  des policiers :

Le comte a bien blagué,

Le comte a bien blagué,

Le comte a plaisanté,

Seu-heule-me-hent plaisanté !

He, he, he ! Ha, ha, ha !

On a bien rigolé,

Failli nous étrangler !

Tous  (en chœur) : He, he ! Nous nous amusons bien ! Amusons bien ! Bien !

Le chœur : Musons… musons… ha, ha, ha ! Ha !

Un policier (donne un coup de pied dans le domestique) : Hé vous, arrêtez de faire cette gueule d'enterrement ! Vous avez entendu ? Il n'a fait que blaguer.

Le domestique (ressuscite) : Musons… musons… ha, ha, ha ! Ha !

 

Tous :

On a bien rigolé,

Failli nous étrangler !

 

Le paragraphe 22. traite des poursuites à exercer d'office.

 

Rigolons… étranglons…

Étranglons… rigolons…

 

Rideau

 

Suite du recueil

 



[1] Cette scène apparaît aussi dans le recueil "Souvenirs de Budapest".