Frigyes Karinthy :  Théâtre Hököm

 

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Chambre au mois[1]

 

- Bonjour Madame.

- Bonjour.

- S’il vous plaît, c’est ici qu’il y a cette chambre à louer, sur rue avec entrée séparée ?

- Oui. C’est par ici.

- Par ici… oui – mais excusez… mais n’est-ce pas une cuisine ?

- Bien sûr, c’est une cuisine. Il ne s’agit pas de ça, c’est à côté.

- Oui, mais… excusez-moi – j’ai lu en bas "entrée séparée".

- Et ce n’est pas une entrée séparée ?

- En passant par la cuisine ?

- Comment ça, par la cuisine ? Une entrée séparée est une entrée séparée. La pièce a une porte séparée pour qu’on y entre. Par cette porte on peut entrer séparément. Une porte séparée particulière, servant particulièrement à pénétrer dans cette pièce particulière.

- Oui, oui, bien sûr… Évidemment c’est un grand avantage de disposer à cette fin d’une porte séparée. Parce que, n’est-ce pas, il existe des quantités d’autres lieux où les portes sont utilisées à toutes sortes d’autres fins, mettons à frotter le linge avec, à s’essuyer dedans, ou à prendre son déjeuner dessus, n’est-ce pas ?

- Eh oui, que voulez-vous, de nos jours, quand tout est si cher.

- Et voyez-vous, chère Madame, combien de chambres totalement dépourvues de porte peuvent exister ! Ô combien !

- Eh oui, que voulez-vous, tout est si cher.

- Prenons par exemple le prix des cercueils.

- Seriez-vous journaliste ?

- Pourquoi donc ? – me trouveriez-vous trop spirituel ?

- Non, pas du tout, mais c’est parce que je ne louerai pas ma chambre à un musicien, pas question.

- Mais je n’ai pas encore vu la chambre. Excusez-moi, où se trouve la fenêtre ?

- Je vous en prie… Elles sont là-haut, toutes les deux…

- Excusez… Je ne vois pas… Je n’ai pas une très bonne vue…

- Là-haut.

- Ah oui, je vois. Mais dans ce cas où se trouve l’orifice du tuyau de poêle car j’ai cru…

- Pas besoin de poêle, voyez-vous, dans cette chambre. Il fait tellement chaud ici tout l’hiver, voyez-vous, à côté de la cuisine, autant que vous voulez. Voyez-vous, tout est si cher…

- Oui, oui. Mais, excusez-moi, vous êtes sûre que ces deux… hum, fenêtres… donnent sur la rue ?

- Puisque c’est moi qui vous le dis. Vous pouvez être rassuré. Monsieur n’est pas des assurances sur la vie au moins ?

- Pourquoi ?

- Parce que j’ai déjà eu ici une fois un locataire des assurances sur la vie, je ne louerai plus la chambre à un autre comme ça.

- Ne vous inquiétez pas. Je n’en suis pas. Alors… comment, la chambre aurait-elle une double porte ? C’est une deuxième porte, ça ?

- Non, Monsieur, c’est le mur.

- Vous voulez dire, le mur d’en face ?

- Oui. Monsieur ne reçoit pas de femmes au moins ? Parce que chez moi ce n’est pas permis…

- Oh, ne vous inquiétez pas… J’ai bien une fiancée, mais vu la situation, je vais naturellement rompre mes fiançailles.

- C’est ça, voyez-vous, parce que chez moi ce n’est pas permis. Ça, c’est le lit. Un beau lit de cuivre.

- Cela m’est égal. De toute façon on ne le voit pas. Pourvu qu’on puisse se coucher dedans.

- On peut. Quand rentrez-vous d’habitude ?

- Pourquoi ?

- Parce que chez moi on ne peut pas rentrer après dix heures, nous nous couchons à neuf heures et je n’irai pas ouvrir la porte pour les beaux yeux de quelqu’un, même pour les beaux yeux du pape, une fois que je dors, car voyez-vous, il y a des sales types qui rentrent après dix heures du soir et se jettent tout habillés sur mon lit, les cochons, c’est pourquoi je vous dis, voyez-vous, que chez moi ce n’est pas permis.

- Naturellement… je vous en prie… Y a-t-il une armoire ?

- Monsieur a-t-il ses parents ?

- Oui ils sont vivants… Mais si ce n’est pas permis, je peux éventuellement les assassiner… Y a-t-il une armoire ?

- Monsieur n’est pas malade ?

- J’apporterai un certificat de bonne santé… Y a-t-il une armoire ?

- Alors, dites-moi si vous la louez ou pas ?

- Combien vous demandez ?

- Écoutez, pas combien vous demandez, mais vous la louez ou pas ? Écoutez, je ne suis pas ici pour ça.

- Oui… d’accord… tout de suite… je cours chercher mon argent… je l’ai déposé devant la porte… il m’attend en bas… je suis de retour dans une minute…

- Allez chercher quatre-vingts couronnes. Et dépêchez-vous car chaque minute, moi j’en trouve par centaines des locataires.

 

 Suite du recueil

 



[1] Cette scène apparaît aussi dans le recueil "Souvenirs de Budapest".