Frigyes Karinthy : "Livre d’images"

 

 

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diplomatie III

 

- Hé, vous, là-bas…

- Je prie Votre Excellence d'informer votre ambassadeur de ce que nous avons reçu des informations selon lesquelles la Serbie a quelque chose à régler avec nous, ce qu'elle a voulu nous faire savoir en dehors des voies diplomatiques habituelles.

- Hé, vous, apprenez à marcher sur vos propres pieds !

- La dernière déclaration de votre ambassadeur implique certaines exigences qui seront amenées à faire l'objet de réflexions de la part de la Monarchie. À notre avis, bien que la Serbie n'ait pas le droit de s'immiscer dans les affaires les plus personnelles de la Monarchie, étant donné que le récent appel contenait des revendications concernant des conditions déjà préexistantes en tant que sine qua non de notre intérêt existentiel (vu que déjà dans le passé nous avions l'habitude de marcher sur nos propres pieds), je crois que nous aurons définitivement réglé cette question une fois que nous aurons informé notre ambassadeur du maintien du statu quo ante.

- Vous allez la fermer ? Vous ne pouvez pas regarder devant vous ? Je finirai par vous cogner, moi, ça vous ouvrira les yeux.

- En effet, Messieurs, je ne conteste pas que dans la dernière note de la Serbie il était possible de déceler certaines pâles nuances de menace qui, dans un certain concours de circonstances, risquerait de faire prévaloir le dernier argument du royaume, l'ultima ratio regis.

- Quoi ? Vous osez encore l’ouvrir ? Attends un peu, petit salaud ! Il y a là mon ami Zedlacsek, le boucher, que je n'ai qu'à siffler. Nous verrons si ça cause toujours autant après. (Il siffle.)

- L'évolution de la situation est totalement inattendue, elle peut entraîner des conséquences si graves que, rejetant en cet instant toutes les petitesses de la jalousie et nous référant à notre union des trois parties, nous déclarons vouloir prendre très au sérieux les exigences de la Serbie, témoignant à son gouvernement notre totale bonne volonté et notre amitié la plus profonde afin de préserver la paix intérieure de l'Europe, et nous déclarons en outre que la Russie est à nos côtés.

- Ouais ? Ce serait pas trop tôt d'y mettre un terme. Mais tu bouges plus, vaurien, tu attends que Zedlacsek arrive. (Il siffle.)

- Nous ne le contestons pas, certains préparatifs militaires sont devenus indispensables, mais cela ne signifie nullement une interruption des négociations diplomatiques entre les deux États.

- Alors quoi, qu'est-ce qu'il fout, ce Zedlacsek ? (Il siffle.)

- Comme les journaux berlinois l'ont en effet écrit, les diplomates réunis à la conférence sont parvenus à orienter l'accord dans le sens que la Russie, si elle ne participe pas à l'union à trois, reste bien intentionnée et elle patiente jusqu'aux décisions des négociations de paix de Londres, en attendant elle réserve son consentement.

- Non, mais qu'est-ce qui se passe avec ce Zedlacsek ? (Il siffle.)

- Après mûres réflexions nous sommes parvenus à la conclusion que nous ne pouvons plus attendre. Nous invitons donc avec la plus grande fermeté votre ambassadeur à se déclarer dans un délai de quarante-huit heures : êtes-vous, oui ou non, prêt à accepter notre proposition et à fournir toutes explications nécessaires au sujet des déclarations que votre émissaire a faites au début du mois dernier ?

- Bon, bon, ce n’est quand même pas une raison pour faire tant de bruit alors que personne ne vous a fait de mal. (En aparté). Que la vérole emporte ce Zedlacsek !

- Personne ne m'a fait de mal, dites-vous ? Tiens donc ! On se fait attaquer par des vauriens de ce genre. Je n'hésiterai pas à appeler la police.

- Je vous prie de bien vouloir transmettre notre note à la monarchie, note qui prouvera que depuis le début nous sommes favorables à une solution pacifique, et c'est pour des raisons purement commerciales que nous avions besoin du port en Adriatique.

- Hé, vous, espèce de brigand ! Ça t'a fait peur la police, hein ? Je vais t'en faire voir, moi, à toi comme à Zedlacsek ! Veux-tu bien immédiatement dégager ? Hors de ma vue !

- Notre gouvernement a le plaisir de vous informer que grâce au déroulement prudent et amical des négociations diplomatiques, notre accord avec la Monarchie et la paix semblent solides, notre sage prévoyance a su prévenir tout bain de sang inutile.

           

Suite du recueil