Frigyes Karinthy : "Vous les avez vus ainsi"

 

 

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LES CHEFS DE PARTI ET LE CHEF DE GUERRE

 

DEUX DÉCLARATIONS

 

I

 

Le chef de parti s’est mis volontiers à notre disposition. Il a développé en détail les positions et les programmes de l’opposition face au gouvernement.

- Selon moi le temps des manœuvres dilatoires est révolu. C’est eux qui voulaient, à toute force, et d’ailleurs la situation l’exigeait, que nous entrions en guerre ouverte. Nous avons compris, et le pays et l’opinion publique doivent également comprendre, que dans des minutes aussi décisives, lorsque les délégués de la commission regnicolaire[1] aiguisent déjà leurs couteaux pour nous trancher la gorge, en cette minute sanglante lorsque la furie déchaînée de la fusion concentrationnaire dégaine déjà et lance ses assauts contre nous – en un tel moment toute pleurnicherie de vieille femme, toutes les fleurs de rhétorique, chaque mot, ne sont que courtoisies oiseuses ! Ce n’est plus de mots qu’on a besoin ici, mais d’actes ! Nous avons regardé oisifs, les bras croisés, lorsqu’on a posé sous nos pieds les mines explosives de la   permanente, pour faire sauter les forteresses blindées de l’obstruction. Mais maintenant, quand dans leur fureur arrogante ils menacent déjà avec le fer rouge du contrat délégataire sans parti notre part la plus sensible, les organes les plus douloureux, les plus vivants, les plus intimes de nos fibres nerveuses, la révision du règlement parlementaire de la coalition de partis, le sang viril doit nous monter au visage et nos poings doivent se serrer ! À la séance suivante le monde entier devra s’en rendre compte et s’épouvanter de ce qu’il en soit ainsi – à la séance suivante nous dégainerons aussi et nous ferons sauter la bombe de feu d’une pétition de révision du règlement de la chambre ! Nous verrons bien quelle sera leur réponse ! Nous livrerons bataille – on verra bien qui est plus fort : la coalition stipendiée, ou notre justice qui brille au soleil des feux d’une arme étincelante dans le discours crachant flammes et soufre de Andrássy qu’il aura rédigé à cette occasion. Ce discours sera une bombe hurlante, une arme étincelante, fureur et force – la mort attendra ceux qui croupissent de l’autre côté dans leur château fortifié ! Que les têtes tombent, les têtes qui sont mûres pour le fer glacé de l’échec – que les chefs orgueilleux du gouvernement s’écroulent sans vie ! En avant ! En avant ! À l’assaut ! Avec nous, vous qui avez du sang qui circule ! À bas les autres ! À bas les autres ! Du sang ! Du sang ! Du sang !

 

 

II

 

 Le général commandant le corps d’armées reçut volontiers notre collaborateur, il lui a exhaustivement exposé la situation, indiqué son point de vue, sa stratégie, face aux positions de l’ennemi.

- Nous ferons tout notre possible pour que rien ne puisse troubler une exécution calme et prudente des mouvements stratégiques. La plus grande prudence sera nécessaire pour assurer les déploiements d’enveloppement que nous avons prévus, avec les moyens dont nous disposons. Les opérations d’hier ont en fin de compte procuré les résultats dont nous avions besoin du point de vue du déploiement prévu pour cet après-midi. Sur un des points où nous avions coupé le contact avec les troupes ennemies, nous avons renoué ce contact, ceci, il faut le dire, avec un résultat satisfaisant, dans la mesure où grâce à nos travaux préparatoires nous avons ouvert une brèche opportune dans les rangs ennemis. Naturellement, pour l’exécution précise de cette opération, nous avons été contraints de concéder quelques compagnies suite aux opérations ennemies – mais l’ennemi n’a pas pu empêcher notre génie d’en récupérer soigneusement les restes. Nous avons constaté que les unités ennemies qui s’étaient déployées sur l’aile ouest afin de contourner nos troupes, n’étaient plus en mesure de rejoindre leurs régiments – celles-ci, vu qu’elles ont fait preuve de résistance, nous les avons anéanties et nettoyées. Les mouvements auxquels nous pouvons nous attendre de ce fait, feront l’objet des opérations ultérieures – nous nous sommes très soigneusement préparés à réduire au maximum nos pertes attendues lors de l’exécution des actions stratégiques opérationnelles afférentes, et en même temps contrecarrer dans la mesure du possible les efforts de l’ennemi pour réduire leurs pertes.

 

 

Suite du recueil

 



[1] Commission réunie en avril 1898 pour régler des différends commerciaux entre Vienne et Budapest.