Frigyes Karinthy : "Vous les avez vus ainsi"

 

 

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BAIN DE SANG 79[1]

Roman

 

Auteurs : Gaston Leblanc et Maurice Leroux

 

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238e épisode

 

Ensuite Lenoir regarda sa montre, il sortit du tiroir la petite chaîne à laquelle était accrochée la clé de la cave, descendit, ouvrit la fenêtre du rez-de-chaussée, l’enjamba, monta dans sa voiture et alla sonner chez Levert.

Il dit d’une voix tranquille :

- Huit heures quarante-cinq sont passées du trente-deuxième de quatre secondes et demie. As-tu réceptionné la peinture ?

Levert siffla un coup bref. Là-dessus s’ouvrit aussitôt la fenêtre du quatrième étage dans laquelle apparut la tête de Lebleu. Le commandant entra par la fenêtre, puis alla à la porte et scruta soigneusement le dehors.

- Tout va bien, acquiesça-t-il, le pauvre diable a déjà dévissé les pis de la perruche, et si Lejanne n’ouvre pas l’écluse à temps, il les coudra sans tarder sur sa barbe. Vous ferez bien de vous méfier : l’édredon rayé bleu, vous devrez l’aiguiser, coupant comme un rasoir.

Ils montèrent tous en voiture, ils se rendirent du côté de la rue de Street, à l’endroit marqué d’une croix, en guise d’avertissement que ce n’était pas là qu’il fallait chercher l’orifice.

Lerose les attendait déjà dans la prison.

Il sauta de sa chaise illico.

- Sommes-nous à l’heure ? – demanda Lenoir en souriant.

- Ça baigne ! Cela fait exactement dix-huit ans, huit mois, deux jours, six heures et dix secondes qu’en prenant sur moi le meurtre crapuleux de Lelilas, je fus condamné à vie à la place de l’assassin et je me suis laissé enfermer ici pour pouvoir nous rencontrer à l’heure et au lieu prévus. Mais ne perdons pas de temps, car dans un kilo et demi et deux mètres six secondes je devrais être à la gare.

Ils sautèrent du bord l’un après l’autre.

Le peintre tapota les deux aunes de fumée qu’il avait fourrées dans la poche de son gilet. Elle était toujours à sa place.

Legris les conduisit derrière le piston. Il demanda comme accessoirement :

- Ça bougeait encore ?

- À vos ordres, Commandant ! – se plia poliment et modestement Lenoir. – Quand nous l’avons cousu dans l’étui à cigarettes, il bougeait.

- Vous l’avez coupé ?

- De haut en bas. En le tirant sur le côté.

- Les oreilles aussi ?

- D’un coup de lame. Il fallait faire attention que ça ne chuinte pas.

- Ça va. Revissez la boîte remplie, trempez-la dans le tonneau jaune, attendez que ça sèche, servez-vous du battoir, puis faites-la ramollir à feu doux, avec beaucoup de jus, servez avec du citron.

Ils ouvrirent la trappe : le bateau monta vite à l’étage en cliquetant.

Lebleu sortit son thermomètre.

- Encore cinq minutes, dit-il et il le remit.

Lejanne s’esclaffa mais il paraissait passablement nerveux. Il dit :

- Diable ! Encore cinq minutes et on verra le résultat.

Une… Deux…

Trois…

Quatre…

C…

À ce moment une tête apparaît à la lucarne de l’horloge du clocher. Suivie du corps. Il se penche en avant, il saute. Il tombe. Il est à trois mètres du sol.

À deux mètres.

À un mètre.

À un demi-mètre.

(à suivre)

 



[1] Le corps du pastiche est le même que celui de La femme aux yeux platine, paru dans Pesti Napló.