Frigyes Karinthy :   "Parlons d’autre chose"

 

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aveux

 

Premier aveu

Monsieur le Greffier… arrêtez-moi… j’ai étranglé mon ami… le brave petit Guszti Csavolcsek … parce que j’avais besoin des mille couronnes… puis il s’est avéré que justement il n’avait pas les mille couronnes sur lui… penser que j’avais tellement compté là-dessus… depuis deux jours je me préparais à le trouver tout seul… et d’abord l’étrangler, puis lui piquer les mille couronnes… alors je ne trouve pas les mille couronnes sur lui… figurez-vous, Monsieur le Greffier… je l’ai étranglé complètement pour rien… mon meilleur ami… pas de pot… pourtant je l’ai fait très proprement… je me suis bien sûr exercé à l’étranglement pour que ça marche bien… et puis voilà… et qui plus est ça s’est vu… il fallait qu’un policier s’accoude à une fenêtre… par-dessus le marché un policier qui me connaît personnellement… alors j’ai préféré courir jusqu’ici… avant que ce soit lui qui m’emmène, parce que je n’aime pas être trimballé par la police… oh là , sacré nom de Dieu… je me vois dans un joli pétrin… j’avais besoin de ça, moi ?… Elle commence bien, la semaine…

 

deuxiÈme aveu

 

- À vos ordres, Monsieur le Greffier, naturellement c’est le plus profond remord qui m’a incité à venir ici sur le champ et à me dénoncer. Quand j’ai vu là Csavolcsek mort, je me suis dit : voilà, Rudi, où ta passion inouïe t’a entraîné. Qu’est-ce que tu viens de faire, tu as étranglé cet homme – tu n’en as pas honte ? Sois au moins honnête et va immédiatement faire l’aveu de ton crime, et surtout n’essaie pas de déjouer, voire souhaiter retarder la main de la justice qui va te frapper légitimement. Non, Rudi, je te connais, je connais ton âme noble et franche, tes sentiments fins et tendres, Rudi, tu n’es pas un gars comme ça, Rudi, toi, tu vas aller à la police et tu vas te dénoncer. Tu peux d’autant plus le faire que naturellement c’est une crise de colère inattendue et irrésistible qui a poussé à ce crime que tu as commis. C’est ce que j’ai pensé dans ma tête, honorable Monsieur le Greffier, et vous voyez, je suis venu aussitôt…

 

troisiÈme aveu

 

- Alors voilà, Monsieur le Greffier, imaginez ce que j’ai pu ressentir quand tout à coup j’ai remarqué que ce Csavolcsek reluque fréquemment ma femme. J’ai pleuré des nuits entières parce que j’avais pressenti que cet homme à qui je n’ai jamais rien fait allait tourmenter mon bonheur conjugal. À cause de ma femme je n’aurais rien fait, mais il y avait aussi mes enfants… mes chers enfants… pardonnez-moi, Monsieur le Greffier… je ne peux pas continuer… les larmes m’étranglent… mes chers petits garçons qui vont perdre leur mère… comment dites-vous ?… que mes deux enfants ont déjà décédé à l’orphelinat ?… ne sont-ils pas pour autant mes enfants, je vous le demande ?… Ça m’a fait d’autant plus mal qu’ils aient perdu leur vie et maintenant qu’ils perdent aussi leur mère… On n’a pas un cœur de pierre…

 

quatriÈme aveu

 

- Oui, ça y est, ça me revient, comment la chose s’est passée : la veille de la catastrophe, ce Csavolcsek m’a attrapé dans la rue et m’a dit de lui donner mille couronnes, parce qu’il en a mille et il voudrait y ajouter mille autres. Je lui ai dit, je n’ai pas ça, Csavolcsek, comment l’aurais-je. Alors il m’a menacé de m’abattre comme un chien si je ne les lui apportais pas avant le lendemain soir. J’avais très peur qu’il mette sa menace à exécution et le lendemain soir je suis monté le voir pour lui demander de me laisser vivre à cause de mes pauvres enfants. Alors Csavolcsek, les yeux ensanglantés, m’est rentré dedans et m’a dit qu’il m’abattait sur-le-champ si je ne lui donnais pas les mille couronnes. Je l’ai supplié autant que j’ai pu mais il était intraitable. Je sais bien, m’a-t-il dit, que tu as sur toi les mille couronnes, m’a-t-il dit, seulement tu le nies, mais tu as bien les milles couronnes dans la main, tu les serres dans ta poche. Alors je lui ai ouvert mes deux mains en lui disant, regarde, il n’y a rien dedans. Alors je voulais refermer mes deux mains, mais il m’a dit, cochon, tu les caches entre les doigts et tu veux me les dissimuler, mais je ne me laisse pas faire – et, voyez-vous, il a alors serré son cou entre mes deux mains pour m’empêcher de refermer mes doigts et je n’ai pas pu les refermer, et il a si longtemps serré son cou entre mes mains, bien que je l’aie supplié de ne pas me faire de mal, que tout à coup j’ai remarqué qu’il était étranglé. Alors, j’ai couru à la police dans une grande frayeur.

 

cinquiÈme aveu

 

- Si je connaissais ce Csavolcsek ? Selon une certaine acception juridique précise, on pourrait dire que je ne le connaissais pas. J’ai entendu dire, oui, qu’il a été assassiné – mais en quoi ça me regarde ? Pourquoi alors j’ai tant cafouillé ? Juste ciel, j’étais tellement excité à cause du cas, j’ai peut-être dit quelque chose en effet, mais je n’étais pas en possession de mes moyens, pourtant c’est la condition sine qua non de la constatation des circonstances. La masse totale des tenants et aboutissants des droits de propriété ou assimilables aux droits de propriété d’une ou de plusieurs personnes impliquées dans une mesure déterminée ou indéterminée, qui sur la base relative à d’autres aspects juridiques peuvent être subrogés aux droits d’un autre sujet dans la jurisprudence…

 

Suite du recueil