Frigyes
Karinthy : "Livre de contes"
Occultisme
Après
trois heures du matin, l'inconnu s'est assis à ma table. Il n'y avait
plus guère de monde au café. Il s'est présenté
comme un prince turc et il a demandé si je voulais jouer aux cartes.
J'ai dit que je ne savais pas jouer et que de toute façon je n'avais pas
d'argent. Il a toussé et il a dévié la conversation sur
les fakirs qui restent assis sur un clou pendant dix ans et qui peuvent garder
la bouche ouverte pendant trois jours. Il a déclaré en avoir vu
un dans l'Hindoustan qui avait enroulé trois fois son bras gauche autour
du cou et était resté comme ça pendant quarante ans.
- Allons, cessez de mentir,
lui ai-je dit, fatigué.
Alors il a juré qu'il
pouvait réfléchir simultanément en quatre langues et qu'il
avalait sa main, puis il la recrachait : si j'étais en voyage, je
devais passer le voir, il me montrerait. Si j'ai un forint sur moi, nous
pouvons y aller en voiture.
- Non, merci beaucoup,
peut-être à l'occasion.
Alors il est passé aux
sciences occultes et il m'a assuré qu'il dialoguait avec les forces de
la nature comme avec moi. Les forces de la nature sont gardées en
captivité par l'Esprit du feu qui est de ses connaissances personnelles.
Il peut soulever une table avec deux doigts parce qu'il a du magnétisme
dans les mains. C'est un phénomène très particulier et je dois
vite sortir un forint si l'Esprit du feu l'exige.
- Écoutez, lui
dis-je, parlons d'autre chose.
Alors il est passé
à la musique des sphères et il m'a expliqué qu'il convient
de considérer les sept planètes comme les sept notes de l'octave
qui tournent autour du soleil et qu'il entendait fréquemment le chant
des planètes. Il s'est mis à fredonner une mélodie,
prétendant que c'était celle-là qu'il avait l'habitude
d'entendre. Je l'ai écouté très attentivement, puis je
l'ai averti qu'elle ressemblait étrangement au refrain de
"L'abeille et le bouton de rose". Il a réfléchi, puis a
remarqué que c'était vrai, zut alors. Mais que cela ne changeait
rien à ce que les planètes tournaient tout de même sur des
orbites circulaires. Écoutez, me dit-il, c'est la vérité
et je vais vous l'expliquer. Donnez-moi un forint, et disons que c'est le
soleil.
- Pas question, dis-je, ne
disons pas cela.
Il a toussé et il a
passé à l'évocation des esprits. La chose est très
simple, il est possible de mener des conversations tout à fait
confortables avec les esprits. Mais pas directement. Il faut y mettre
- Deux personnes ?
– ai-je demandé soupçonneusement. – Avec la
même force ?
Comme il m'a assuré que
oui, j'ai sorti le forint et nous avons mis un doigt dessus. Il a éteint
la lumière et il a solennellement invité l'esprit Omar à
apparaître.
- On va le savoir. Le forint
va se mettre à bouger, il passera d'une lettre à l'autre pour
nous écrire la réponse.
Effectivement. Le forint s'est
mis à bouger sous mon doigt. La première lettre était un
"P".
- Assez ! – ai-je
dit et j'ai rempoché mon forint. – J'ai deviné