Frigyes Karinthy :  "Optimistes"

 

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l’amour est la fleur parfumÉe de la vie,

comme un bouton de rose ouvert

 

1er mai

Je crois qu’un rayon lumineux vient de s’allumer dans ma triste vie de désespoir. Aujourd’hui j’ai rencontré une femme – des yeux profonds, mystérieux, des lèvres merveilleuses, une silhouette invraisemblable. Je crois que je suis amoureux.

 

5 mai

Je vais souvent me promener au bois, je m’assois dans l’herbe, je cueille des fleurs et j’aspire les odeurs. Il m’est venu une pensée étrange et surprenante : j’ai pensé que la femme est comme une fleur. Comment est-il possible que vous ne vous en soyez jamais aperçu ? L’amour est la fleur parfumée de la vie, comme un bouton de rose ouvert.

 

1er juin

Je lui ai parlé. Elle m’aime, elle m’aime ! Je suis ivre, je suis fou, elle est comme une fleur – je lui ai baisé la main, et sa main avait une odeur, je vous jure, elle avait une odeur de muguet. Je suis amoureux d’un muguet parfumé, couvert de rosée.

 

30 juin

Je l’aime, d’un amour parfumé, ivre : le ciel est si bleu, les oiseaux piaillent. Oh, la vie est si belle ! Et elle m’aime aussi, elle m’aime, elle m’aime ! Oh, amour, oh, fleur !

 

4 juillet

Je l’ai embrassée. Je l’ai embrassée sur la bouche. J’ai cru défaillir et mourir, me noyer sur le champ dans le plaisir : je me sentais comme brisant une fleur en morceaux – elle est si parfumée et si terrible. Je ne comprends pas comment j’ose toucher à cette âme si raffinée avec mes mains brutales, si terrestres. Cela s’est passé hier, aujourd’hui je l’ai revue, en compagnie d’un homme plus âgé, respectable, comme elle m’a expliqué plus tard, un vieil ami qu’elle estime beaucoup. Moi aussi j’estime ce brave homme sérieux. La vie est merveilleusement belle.

 

29 juillet

Sa proximité transcende tout et rend tout semblable à une fleur. Même moi, l’homme heureux et ivre, aimé par cette apparence couverte de rosée qui m’aime, qui m’aime, qui m’aime. J’ai aperçu aujourd’hui de véritables petits boutons de fleurs qui s’ouvraient sur ma poitrine : semblables à des boutons de muguet ou de rose.

 

1er août

Des boutons s’ouvrent aussi sur mon front.

 

11 août

J’ai été pris d’un léger vertige aujourd’hui : les boutons ne cessent pas de grandir.

 

23 août

Je suis incapable d’écrire correctement, mes mains tremblent.

 

8 septembre

Ces temps-ci, mon corps est beau, bien coloré : mes pieds sont bleus, ma poitrine est couverte de taches rouges et noires, ma tête a pris une forme artistique, dans la mesure où dans l’architecture on n’aime pas la symétrie.

 

11 septembre

C’est étrange, aujourd’hui ma main gauche a ramolli.

 

30 septembre

C’est étrange, aujourd’hui mon pied droit s’est ébréché.

 

6 octobre

Comme c’est étrange : aujourd’hui ma main gauche est tombée, celle qui avait ramolli l’autre jour.

 

7 novembre

Aujourd’hui on m’a enterré. Je disposais d’un cercueil très esthétique, bien ajusté. Il a été assez fastidieux de me placer dedans, étant donné que j’étais en plusieurs morceaux, et ma tête par exemple était à l’état liquide. Elle n’est pas venue à mon enterrement, probablement que son faible corps n’aurait pas supporté l’immense douleur.

 

19 novembre

Un charmant ver de terre se trouve ici près de moi, aujourd’hui il m’a caressé l’oreille et m’a chatouillé. Je voulais l’attraper mais il m’a repoussé, il m’a dit que je ne sentais pas bon. Que ces vers de terre sont coquets !

 

4 décembre

Le ver de terre a tout à fait une figure comme. Le ver de terre est si beau. Mais il refuse de parler avec moi. Il me dit d’utiliser quelque chose, sans quoi je sens vraiment trop mauvais.

 

24 décembre

Aujourd’hui elle est venue au cimetière. Elle est même passée près de mon emplacement en compagnie de ce monsieur d’un certain âge. Lui aussi il a déjà la tête comme. Je lui ai demandé un peu de parfum de muguet afin de plaire au ver de terre, mais apparemment elle ne m’a pas entendu.

 

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