Frigyes Karinthy – Poèmes parus dans la presse

                                                           

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poÈme

 

Je veux être un poète absolument modeste,

Je n’attends pas beaucoup du monde qui m’entoure ;

Je ferme brusquement ma boutique à poèmes,

Si mon client fait trop longtemps le difficile.

Mais pour une fois – ô toi fière Muse altière !

Tu l’assiégeras de sollicitations :

« Monsieur le rédacteur, publiez ce poème,

Monsieur le rédacteur, le ciel vous bénira ! »

 

M’animent ni la gloire rayonnante mais froide,

Ni l’étourdissement de la notoriété

(Bien que je reconnaisse que voir imprimé

Mon poème ne me déplaise nullement.)

Célébrité, honneurs ? Je n’en suis idolâtre !

Maintenant les poursuivent les ambitieux.

« Monsieur le rédacteur, publiez ce poème,

Monsieur le rédacteur le ciel vous bénira ! »

 

Je renoncerais à ce plaisir enivrant,

Pour me faire assaillir par Andor, Olivér :

« Ah, bravo, nous avons lu votre beau poème :

Dites-nous, ce qu’ils payent dans cette revue-là ? »

Pour l’entendre me rappeler en ricanant

Un vers audacieux et hardis de mon frère.

« Monsieur le rédacteur, publiez ce poème,

Monsieur le rédacteur le ciel vous bénira ! »

 

Sur le bord du Danube, au pied de bleues collines,

Un acacia penche sur une maison blanche.

C’est cet ombrage que je poursuis sottement

Car dans cette maison palpite un petit cœur.

Ô, mon âme ingénue, comme si tu l’entendais !

« Monsieur le rédacteur, publiez ce poème,

Monsieur le rédacteur le ciel vous bénira ! »

 

Ce petit cœur chéri, ce petit cœur je l’aime ;

Mais comment devrais-je lui avouer cela ?!

Étiquette et usages, et papa et maman

N’autorisent pas l’écriture d’une lettre.

Mais elle est fidèle lectrice des Nouvelles,

Reste  par conséquent un unique moyen :

« Monsieur le rédacteur, publiez ce poème,

Monsieur le rédacteur le ciel vous bénira ! »

 

                                                        Az Újság, 23 septembre 1906.

 

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