Frigyes Karinthy :  "Trucages"

 

 

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J'adhÈre au mouvement anticancÉreux[1]

 

Eh bien, j'ai réfléchi. J'ai tout pris en considération, pesé mes chances, procédé à mon examen de conscience, essayé de coordonner mes intérêts et les circonstances extérieures. Et j’ai pris ma décision. J’adhère.

J’adhère au mouvement anticancéreux.

Si le gouvernement a déjà adhéré, il doit y avoir tout de même quelque chose, voyez-vous.

Ce n'est pas que j’aie une âme d'esclave ou que, disons, le gouvernement m’impressionnerait pour l’unique raison qu'il s’agit du gouvernement. Ah, non, je vous prie, à ce n'est pas la haute position du gouvernement qui m’impressionne mais… Mais, eh bien oui,  son cœur précisément, c'est qu’il ne méprise pas les pauvres tout de même. Voilà qu’il vient d'adhérer au mouvement anticancéreux, par exemple. Car qu'est-ce que ça lui aurait fait, de ne pas adhérer, je vous le demande ? Rien. Il n'adhère pas, tout simplement, ça ne me regarde pas qu'il dise, ces messieurs n'ont qu'à régler tout ça entre eux. Le cancer et le mouvement.

Et alors le mouvement aurait bonne mine avec les nombreux médecins et savants dans le monde entier qui, depuis quelque cinquante ans, méditent et travaillent contre le cancer. L’affaire serait extrêmement déplaisante, le mouvement dans son ensemble serait compromis, avouons-le. Car, le cancer, s’il vous plaît, il a l'esprit qu'il lui faut, celui-là. Si le gouvernement n’avait pas adhéré au mouvement, le cancer aurait fait des gorges chaudes des médecins, du traitement au radium, de la chirurgie – vous voilà, illustres amis, aurait dit le cancer, n'est-ce pas que le gouvernement n'a pas adhéré lui non plus ? Toute votre peine est perdue.

« Quand même j’avais raison – aurait dit le cancer – ça ne fait pas gentleman que de me persécuter ». Mais à présent, il y réfléchira à deux fois, le cancer. « Hum, hum, qu’il se dit, le cancer, mieux vaut se faire tout petit, semble-t-il. Le gouvernement ne regarde pas d'un bon œil mes manigances. Tiens, tiens ! Faudrait tout laisser tomber et chercher d'autres  affaires. »

Voilà pourquoi, moi aussi, j’adhère au mouvement anticancéreux.

Eh oui, j’ai oublié de vous dire qu'à part cela, j’adhère aussi au mouvement antisismique, à condition, bien sûr, que le gouvernement en fasse autant. Et aussi au mouvement contre le refroidissement du soleil. Pourquoi pas ? Du cœur, j'en ai, moi aussi. Y a pas que le gouvernement pour en avoir...

 

Suite du recueil

 



[1] Traduction de Agnès DukeszMessage à Agnes Dukesz