Frigyes Karinthy :  "Trucages"

 

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chant populaire savant

 

Cest juste, chant populaire savant et non science du chant populaire, recherche en folklore dont on a par-dessus la tête.

Le but de ma modeste tentative consiste à démontrer pas à pas que pour sauver les chants populaires en tant que genre en voie de disparition il faudrait mettre les pensées qu’ils contiennent au service des sciences en progrès, et en particulier la psychologie moderne. Démontrer ainsi qu’ils contiennent les pressentiments initialement masqués des magnifiques découvertes ultérieures – de cette façon ils acquièrent de nouvelles significations, ils deviennent pour ainsi dire fréquentables, pas besoin de cache-cœur, de coiffe, ni de plumet pour que n’importe quel gentleman ou dame puisse les chanter, dans un sens mieux conforme à son imagination.

Je vous présente, pour mieux me faire comprendre, quelques échantillons sans prétention de mon étude en trois volumes en cours de rédaction.

Quelqu’un dit, mettons :

            « Ôte-moi, ôte-moi mon cœur,

            Mets une pierre à sa place »

est aujourd’hui une pensée désuète, une sensiblerie, en laquelle plus personne ne croit. Mais si nous songeons à la science chirurgicale en pleine évolution, il est évident que l’auteur avait pressenti les tentatives de transplantation dont la première étape était, mettons, le plombage dentaire, et il est tout à fait vraisemblable que ce genre de plombage cardiaque deviendra possible dans un proche avenir.

Un autre exemple.

« De combien d’étoiles sont composés tes yeux, ma Zsófi ? » - un jeune d’aujourd’hui ne pose pas cette question à la dame de son cœur, sinon comme ceci :

« Combien de dioptries portes-tu, ma Zsófi ? » - ce qui sonne plus objectif et plus cultivé.

De même, la psychanalyse aussi exige certaines modifications. À la place de

            « Sous la gouttière niche l’hirondelle »

il est beaucoup plus contemporain de dire

            « Dans le subconscient niche la gazelle »,

autrement dit le symbole de la lubricité, ce qu’on appelle la libido qui, selon les freudiens se blottit sous le seuil inférieur de la conscience.

Dans le même chapitre il convient également de mentionner le proverbe

            « À chacun sa chacune »,

c’est la reconnaissance d’une des thèses fondamentales de la psychiatrie moderne, la dualité amoureuse ;

en outre l’importance donnée au caractère sadomasochiste dans les lignes suivantes :

            « La loco file sur Kanizsa,

            En tête se tient le masochiste

            Qui érige la cheminée. »

Dans le domaine de la médecine des maladies internes :

            « J’ai passé une radio jeudi »

(sur la mélodie : « je refais mon toit de chaume »), ou en musicologie :

            « En cette nuit du mois de mai

            J’assassinerais tous les pianos ».

Et enfin, ne négligeons pas non plus les mathématiques. Dans la fameuse chanson à boire, l’ivrogne compte les bouteilles vides, ça donne :

            « Un, deux, trois, quatre cinq, six,

            Que le diable l’emporte,

            J’ai oublié ma calculette,

            Pourtant j’ai des calculs à faire ! »

 

Suite du recueil