Frigyes
Karinthy : Recueil "À ventre
ouvert"
La roue
Cela
s'est passé le deuxième jour.
La plupart des volcans avaient
déjà rebouché leurs cheminées, les eaux
s'étaient déposées, des rivières sinueuses avaient
pris la route de l'océan.
Le grondement et le crachotement
bouillonnants et gargouillants, la suffocation de la
surface de
Et alors dans le silence et le
doux halètement, quelque part sur la plage quelque chose se mit à
remuer, à fourrager différemment, tout doucement,
silencieusement. Vent et tempête, chaleur et lumière, les immenses
forces rivales en état de cessez-le-feu momentané ne la
remarquèrent même pas, s'en désintéressèrent
complètement.
Pourtant c'était un de
leurs compagnons. Un esprit silencieux, taciturne, qui jusqu'alors n'avait pas
pris part aux combats, il s'était retiré à l'écart,
il observait ; le puissant camp spirituel des Forces connaissait à
peine son existence ou ne l'avait pas prise au sérieux.
La Vie – c'est ainsi qu'il
se faisait modestement appeler.
Et maintenant, en se mettant à jouer sur le
bord de mer parmi les minuscules grains de sable, les esprits énormes
des forces telluriques (qui faisaient la sieste) haussèrent ironiquement
les épaules et sans interrompre leur petit somme, se tournèrent
sur l'autre côté.
Et la Vie commença
à jouer doucement, dans la poussière, sans être
dérangée.
Au commencement elle souffla des
billes minuscules avec peau et noyau, comme elle l'avait vu faire par les
forces créatrices de
Quand elle en eut assez, elle
essaya autre chose. Elle ramassa ses briques de construction, les billes des
cellules, elle les superposa. Et en tâtonnant, la première
fougère pointa dans la poussière sa tête serpentante.
Cela lui plut davantage. Une
forêt de plantes s'étirant vers le ciel recouvrit bientôt le
littoral, des taches vertes apparurent ici et là.
Bouger, bouger ! C'est ce
qu'elle aurait aimé apprendre de ses frères énormes !
Elle s'essaya d'abord sous forme
de plante. Elle s'allongea par terre et se mit à ramper. Cela ne l'amena
pas loin. L'enchevêtrement des lianes et des liserons atteignit la mer et
s'arrêta. Ses entraves musculeuses, les racines, ne la laissèrent
pas progresser plus loin.
C'est à ce
moment-là qu'elle eut l'idée d'arracher la racine du sol. Et les
racines arrachées du sol se transformèrent en jambes, pattes,
nageoires et ailes, et désormais la Vie poursuivit son jeu sur la terre
sous des masques de reptiles, insectes, oiseaux.
Et le serpent et le crapaud se
débattirent dans la boue de la terre, le lézard courut sur le mur
rocailleux. Et déjà Quatremains, cet
étrange clown sautilla dans les arbres imitant le zigzag des
éclairs avec des gestes d'acrobate.
C'est ce Quatremains
qui attira finalement son attention.
Un jour ce Quatremains
se dressa sur les pattes arrière. Il lui fit face, il lui fit une petite
grimace très drôle comme s'il voulait
Et l'esprit de la Vie, qui
à cette époque se faisait déjà appeler Nature,
médita sur cette grimace, un peu offensé, mais plus encore,
curieux : qu'est-ce que son dernier joujou voulait lui dire au juste ?
Alors l'Homme, le Quatremains à la tête dressée, laissa
là la Nature et prit le chemin des montagnes.
Il grimpa le coteau en haletant.
Il fut pris de colère de ne pas pouvoir rattraper le lézard
zigzaguant, la bise fugace, il grinça des dents. Un grand ours apparut
devant lui, il se mit à fuir en courant mais l'ours menaçait de
le rattraper.
Et alors, au dernier instant,
quelque chose frappa l'ours dans des grondements énormes, un
éclair, l'ours foudroyé dégringola vers la vallée.
Une avalanche de neige, une grosse
boule, fit une glissade au-dessus de sa tête. Cent fois plus rapide que
la course des fauves.
L'Homme s'arrêta, la suivit
du regard, les yeux fixes, les pupilles dilatées. Puis il comprit et
poussa un cri de joie.
Il comprit en un instant ce que
son créateur un peu lourdaud,
La minute suivante l'Homme
écarta bras et jambes, il les écarta dans quatre directions, il
se dressa et tourna. Il tourna sur ces rayons de ses quatre membres. Il roula
à une vitesse étourdissante. Il lança