Frigyes Karinthy :        Recueil "À ventre ouvert"

 

 

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Nouvelle Iliade

 

I

Le bloc de glace se met à fondre autour de moi. Mes membres transis tentent quelques ruades, puis comme s'éveillant d'un sommeil lourd, embrumé, ma conscience se met à scintiller.

Je réunis mes idées.

Petit à petit je me souviens clairement comment j'ai été congelé dans la machine à conservation, invention du Professeur Shoover. Le principe de cette machine est d'arrêter, par une lente et progressive congélation, toutes les fonctions vitales. Un corps ainsi congelé, d'après Shoover, peut être conservé dans un cercueil de glace durant des millénaires, tandis qu'un mécanisme dûment programmé fait fondre la glace au moment désiré. À ce moment-là le cobaye de l'expérience rafraîchi par sa résurrection  peut sortir frais et dispos de son placard. Apparemment l'expérience a réussi.

Je me tâte : c'est bien moi, bien vivant. L'instant suivant j'ouvre les yeux. Mon premier regard tombe sur le mécanisme dont Shoover avait réglé l’aiguille pour des décennies lors de l'intervention.

Je suis de nouveau quasiment transi, d'étonnement cette fois.

Je suis resté entreposé pendant cinq mille ans dans cette armoire à glace !

Temporellement, je commence à y voir clair. Mais où suis-je ? Engourdi comme je l'étais, je n'arrive pas sur le moment à me repérer.

Un seul coup d'œil par la fenêtre rafraîchit ma mémoire.

Mais oui ! Il n'y a aucun doute, c'est New York ! Les transformations des cinq mille années n'ont pas effacé mes impressions anciennes. J'aurais certainement reconnu la Ville des Villes ne serait-ce qu'au contour verdoyant de son littoral.

Je me rappelle maintenant : c'est ici à New York que j'ai été embaumé dans la glace au début du vingtième siècle.

Seigneur, ce que cette ville est devenue !

Débarrassé de mon cercueil de glace, le premier coup d'œil me convainc que tout ce que les utopistes de l'évolution technique ont jamais rêvé et prédit, n'était ni pur mirage, ni exagération, mais n'était au contraire qu'une pâle préfiguration de l'avenir. Ce que je vois et j’entends autour de moi, ceux des enfants de notre époque qui ont vu les films monstrueusement utopiques des dernières années, Acropolis par exemple, peuvent s'en faire une maigre idée. Mais cette image avec ses dimensions trop modestes et naïves par rapport à la réalité, je ne la mentionne qu'à défaut d'autre chose, car plume, crayon, machine à photographier sont trop faibles pour rendre ce que New York est devenu.

Imaginons une jungle de maisons se perdant verticalement et horizontalement dans l'infini, mille tours de Babel en arc les unes auprès des autres dont les sommets se frayant un chemin entre les nuages fixent le ciel autour de l'orifice d'un cratère central géant. Les étages de ces tours, des montagnes par l'altitude et le volume, sont reliés entre eux par un imbroglio fantastique de couloirs et de passerelles grimpant en spirale, superposés par dizaines voire vingtaines, de plus en plus étroits. De ces tours une cascade lumineuse rouge incandescente, bleu azur et blanc argenté dégouline dans la gorge du cratère, un liquide inconnu, pendant qu'une lueur arc-en-ciel remonte depuis le fond, illuminant cette arène extraterrestre, en haut, jusqu'aux étoiles. Ajoutons à cela un tintement, un vrombissement tonitruant, toutes mes fibres nerveuses en tremblent. Comme si le vacarme de cent millions de cuivres, de sirènes, de batteries de canons, murmures de forêt et hurlements de foules se fondaient en une unique tempête sonore.

Je reste figé une bonne demi-heure avant de pouvoir faire un pas, les yeux rivés sur les hauteurs. Il me faut cette bonne demi-heure pour faire une découverte singulière.

Par rapport à la monumentalité du spectacle et du bruit, je trouve l'animation de l'image étonnamment faible. Il est vrai que les cascades lumineuses se déversent sans discontinuer et le flot kaléidoscopique des effets lumineux n'a pas de cesse. En revanche, dans les couloirs et sur les ponts et dans les rues et aux fenêtres je ne constate pas cette cavalcade, cette multitude fourmillante d’êtres vivants et de moyens de transport qui auraient pu compléter la vision et justifier ce foisonnant concert sonore. Les places sont désertes et pas une âme ne se montre sur les passages, tout au moins ne dévoile sa présence dans ces allées et venues trépidantes si caractéristiques des métropoles sans lesquelles le tout n'a aucun sens. Je pense d'abord que c'est dimanche ou un jour de fête quelconque. Ensuite je suis pris d’un sentiment incommode, frileux.

Enfin, au début de la deuxième demi-heure, un volume bouge entre deux tours. Une curieuse machine volante semblable à un dragon chuinte, projetant son ombre par-dessus le pilier d'un pont à arcades. Elle jaillit, serpente, culbute, rejaillit et disparaît.

Plus tard, à la hauteur de la dixième passerelle publique je découvre une espèce de char. Il est brusquement apparu sous un porche, il roule un moment avant de disparaître dans l'obscurité d'un autre portique ogival. En même temps il me semble entendre un cri lointain.

C'est tout.

Et par-dessus ce spectacle inhospitalier, effrayant, le sombre firmament archaïque, avec ses mystères, ses étoiles.

Je pars à tâtons. L'endroit où je me trouve doit être l'emplacement de l'ancien pont de Brooklyn. Je me dirige vers le centre avec l'idée d'arrêter la première voiture, ou de téléphoner.

Ne voir personne nulle part m'est très incompréhensible, mon inquiétude va croissant. Après une bonne heure de marche j'atteins une porte gigantesque qui signale au pied d'un rempart circulaire la probable entrée principale de la Ville. De là des escaliers bifurquent vers un premier étage : à quelques pas de moi la cascade bleue dégringole avec fracas.

Aucun véhicule nulle part !

Je décide de me lancer à pied. L'escalier est haut, c'est pris d'angoisse que j'atteins le sommet, le degré inférieur d'une énorme corniche. Je m'assois sur un cube de marbre en saillie pour me reposer un peu.

Et alors j'aperçois le premier.

Je crois que c'est lui qui m'a vu d'abord.

C'est un homme grand, nu, la tête hirsute. Derrière sa barbe qui couvre presque tout son visage deux yeux brillants, obstinés me fixent un instant. Puis il pousse un cri étrange, inarticulé. Je vois bien qu'il fait un saut en arrière.

Mon étonnement est si grand que j'en ai le souffle coupé : je me lève, maladroitement. Si j'avais croisé un robot martien vêtu d'aluminium, équipé d'ailes et de moteurs à étincelles comme je l'avais envisagé, vu les deux mille cinq cents ans passés, je n'aurais pas hésité une seconde à reconnaître mon congénère tardif. Mais un homme nu, bruni par le soleil, avec la barbe des êtres préhistoriques, dans cette époque, dans ce milieu !

Et comme pour justifier ma vision, l'instant suivant il se jette la figure contre terre, exactement comme jadis les indigènes de Patagonie devant Ferdinand Cortes. Il tremble, il se prosterne et gémit sur un ton inarticulé il répète un mot inconnu :

Dei- ! Dei- !

À ses gémissements un autre homme sort du portique ogival d'un palais de marbre. Un maintien fier, il est musclé, énorme. Un linceul fait d'un tissu spécial, caoutchouteux, aux reflets humides, est jeté négligemment sur ses épaules. Un gourdin en forme de massue à la main et quelque chose d'autre qui rappelle des doigts, il crie quelque chose à son compagnon vautré au sol, lui administre un coup de pied méprisant puis, la tête altière, courageuse, il se dirige crânement vers moi.

Je balbutie quelque chose.

Il s'arrête à dix pas de moi, il lève sa massue, la fait tournoyer. J'écarte ma tête. Il me fait comprendre d'un geste véhément qu'il ne veut nullement me faire du mal, seulement m'avertir : « ne me fais pas de mal non plus, je n'ai pas peur de toi ».

Mortellement gêné, je me mets à m'expliquer des mains et des pieds. Il m'écoute attentivement, ne répond pas. Il semble faire des signes à quelqu’un derrière mon dos. Je me retourne. À la lumière douteuse de la cascade, à une honorable distance, je suis encerclé par des sauvages nus ou demi-nus. Un sur deux a une arme primitive à la main, un arc ou une massue. Dieu sait d'où ils sont sortis aussi subrepticement. Peut-être de derrière l'escalier.

Le chef, je ne peux pas l'appeler autrement, s'approche prudemment. Il lève le bras pour parler.

Je parle à mon tour.

Alors un cri perçant, animal, retentit derrière moi. Un des sauvages, la figure tordue, se jette à terre en désignant la chaussée. Les autres se dispersent et disparaissent en un instant, ils se terrent dans des anfractuosités invisibles avec une célérité incompréhensible. Quelques combattants n'ayant pas réussi à se sauver assez vite portent leur arc au menton et tirent dans tous les sens. Le chef m'a complètement oublié, il les dirige avec des ordres furieux. Petit à petit il préfère lui aussi reculer.

Je me tourne bêtement dans la direction du danger présumé qui a fait fuir le groupe. À ma surprise je m'écrie presque avec joie :

- Enfin ! Un véhicule !

Une mécanique, une sorte d'automobile, dévale la chaussée. Devant, de larges roues, des ailes plates sur les côtés, un gouvernail dépassant comme un périscope. Elle rappelle un peu la machine fusée de Opel mais en un peu plus compliqué.

Enfin ! Je suis tout de même arrivé à bon port ! Dans un monde civilisé !

Je siffle pour attirer sur moi l'attention du chauffeur ou du pilote. Mais le véhicule ne m'aperçoit pas, il passe à toute vitesse, il se met à la poursuite d'un des sauvages qui fuit à toutes jambes. Il le rattrape. Un cri dans le noir, puis on n'entend plus que le vrombissement du véhicule.

Je me précipite dans cette direction. Le véhicule fait demi-tour, il a l'air de se lever sur ses roues arrière. Non, on dirait plutôt qu'il s'élève en l'air. Mais c'est faux aussi.

Il retombe, il fait quelques tours sur lui-même, il tournicote, il zigzague, il cahote, il tacataque, il cliquette comme s'il cherchait quelque chose. Brusquement il s'arrête face à moi, il recule puis de façon inattendue, à grand fracas, il me fonce dessus.

Je lève les bras, je gesticule.

Il doit être à deux mètres quand je comprends avec épouvante qu'il veut m'écraser. Il ne ralentit pas, ne fait rien pour m'éviter.

Je pousse un grand cri et je saute sur le côté. Je ne suis qu'égratigné par l'extrémité de l'aile mais je perds connaissance et je tombe en arrière. À la dernière seconde une découverte étrange se grave en moi et c'est plus fort que toute terreur, que l'instinct vital : j'ai clairement vu que l'intérieur du véhicule est complètement vide, sans conducteur.

 

II

 

Quand je reviens à moi (pour la seconde fois en l'espace de quelques heures), j'aperçois d'abord les murs. Quel sentiment rassurant de me savoir enfin dans une pièce ! Les murs sont d'une couleur verdâtre patinée. Ma première impression est que c'est une sorte de salle d'eau : des murs nus pas le moindre meuble ou ornement.

Je tourne la tête sur le côté. Quelque chose bouge près de moi. Je me secoue. Un visage m'observait. Des yeux attentifs, profonds, intelligents, avec les sillons de l'âge et de la souffrance.

Pendant cinq longues minutes nous nous regardons dans les yeux, moi en clignant, méditant, inerte ; lui, avec compassion, encourageant, comme s'il me connaissait.

Shoover ! m'écrié-je en regagnant mes esprits et du coup je m'assois.

- C'est moi. Recouchez-vous. Vous êtes encore faible. Vous avez reçu un grand coup.

Je recouvre la mémoire.

Shoover ! Est-ce que je rêve ? Comment avez-vous atterri ici ?

Il sourit.

- N'est-ce pas curieux ? Une telle rencontre, presque cinq mille ans après ? Mais je vous l'avais prédit.

- Qu'est-ce que vous avez prédit ?

- Évidemment vous l'avez oublié. Ou plutôt vous ne m'avez pas écouté, vous étiez très anxieux quand je vous ai placé dans la glacière. Je vous ai affirmé que huit ou neuf ans plus tard j'irais vous rejoindre, je me congèlerais. Mais apparemment j'ai programmé le réveil au radium un peu plus tôt.

Je saute sur mes pieds, envahi d'une vague de bonheur et de solidarité humaine. Après avoir un peu sangloté, j'éclate de rire.

- Mon cher Shoover, mon vieil ami !

Je le serre longuement dans mes bras. Lui, à sa façon, reste sur la réserve.

- Allons, allons. Du calme. Laissez-moi parler, il me semble que vous manquez d'informations.

- Bien sûr, dites.

- Un peu plus tôt donc, d'une vingtaine d'années.

- Comment ? Cela fait vingt ans que vous…

- Oui, je vis ici depuis environ vingt ans. Au cours des derniers mois je m'attendais à votre réveil. Vous pensez comme je m'y préparais. Je savais que votre armoire était restée intacte grâce à Dieu, seulement rendue inaccessible par la couche de platine. Hélas je ne pouvais pas connaître la date précise au jour près. Cela fait quinze jours que j'erre dans les environs, en vous attendant. Hier j'ai fait une petite promenade. Cela explique mon retard mais ces quelques heures ont failli vous être fatales.

- Oui… c'était horrible… ces sauvages… comme des singes… et à la fin… cette voiture ailée… sans personne à son bord… Mon cher Shoover ! Qu'est-ce que c'est ? Où sommes-nous ? Dans quelle époque ? Qui sont ces gens ? Qu'est-ce que c'est, tout ça ?

- Calmez-vous. Vous finirez bientôt par tout comprendre. La seule chose importante pour le moment c'est de nous savoir en sécurité.

Je regarde enfin autour de moi. Une pièce vide, rectangulaire, avec une unique fenêtre. Une croûte épaisse couvre les murs comme dans une grotte calcaire. Le lit sur lequel je suis couché est en fait une simple litière de planches grossières recouvertes d'un tapis de paille comme dans les étables. Shoover remarque ma surprise.

- Excusez-moi, je ne peux pas vous offrir plus de confort. J'habite ici depuis dix ans. Vous finirez par apprendre à vous contenter de peu.

- Mais c’est une tanière !

- Une tanière ? Hum, possible. Mais il a été assez difficile de vous monter dans cette tanière. Regardez un peu par la fenêtre.

Je me traîne vers l'ouverture, je me penche au dehors. C'est la fenêtre d'une des tours géantes, peut-être au cinquantième étage. En bas, dans une profondeur vertigineuse, la Ville. Je regarde Shoover avec effarement.

- C'est tout ce… ce que le huitième millénaire… de la culture et de la civilisation… peut nous offrir ?…

Il acquiesce tristement avec un sourire affligé.

- Culture ? Civilisation ?… Eh bien, de grandes surprises vous attendent. Pour le moment j'attire votre attention sur un seul détail : n'avez-vous pas remarqué que toute la Ville, comme vous l'appelleriez, est recouverte par ce même type de couche calcaire que ces murs-ci ?

- Oui… c'est bizarre… en effet…

- Bien sûr, ce n'est pas l'œuvre de la main de l'homme. Toutefois nous ne sommes pas tout à fait retombés jusqu'aux grottes de Cro-Magnon. Tout au moins en ce qui me concerne, enfant d'une époque heureuse, paradisiaque échoué ici. Je suis déjà devenu quelqu'un grâce au labeur d'une vingtaine d'années et à l'expérience de mes souvenirs d'il y a trois mille ans… Je me fais même servir par un animal, regardez par ici…

Un trou noir dans un coin. Shoover s'en approche, s'accroupit devant. Il siffle, émet un son bizarre comme pour se racler la gorge.

Quelque chose bouge dans le trou. Après un petit remuement deux tubes étincelants pointent. Suivis d'une chose plate triangulaire roulant sur quatre petites roues, avec une large fente devant : cette fente s'élargit et se rétrécit en s'agitant. L'objet est entièrement métallique, tout compte fait il ressemble à un aspirateur. Mais il s'est extirpé du trou de lui-même et ça me donne des frissons au point de me faire reculer. Shoover tente de m'apaiser :

- N'ayez pas peur ! Il ne mord pas ! Il n'est pas méchant.

- Il ne mord pas, vous dites ? Il ne manquerait plus que ça ! Je vois bien que c'est un aspirateur.

Il rit de bon cœur. Pendant ce temps l'aspirateur longe les murs de la pièce, ou plutôt de la caverne, en haletant, puis il rampe aux pieds de Shoover, il lève un de ses tubes et avec le geste d'un chien qui lèche la main de son maître il le pose contre son avant-bras.

- Aspirateur ! Vous avez raison, je ne m'en étais pas aperçu. En effet il y ressemble. Ses ancêtres devaient être des aspirateurs.

Shoover, vous n'étiez pas homme à faire des plaisanteries stupides.

- Qui plaisante ? Je parle sérieusement. Vous êtes tombé juste. Cet animal doit provenir de machines de l'espèce aspirateur.

- Animal ?… Qui provient… de machines… Shoover… la tête me tourne.

- La mienne tournait aussi durant les premières années, croyez-moi. Jusqu'à ce que je comprenne ce qui se passe ici, ce qui arrive au monde.

Pendant ce temps l'aspirateur sur ses roues est retourné dans son coin, il a blotti ses tubes sous lui. Je m'assois sur la paille, je regarde Shoover. Je me sens abattu, écrasé par une angoisse, une inquiétude sidérante, une peur, une lourde tristesse. Je ne comprends toujours rien, mais si jamais il a existé un dieu déchu qui d'un coup a ressenti que sa vie qu'il croyait immortelle, sa puissance qu'il pensait infinie et sa richesse qu'il savait inépuisable, se sont écroulés, ce dieu déchu doit ressentir la même chose que moi en ce moment, pas pour moi mais au nom de toute mon espèce. Je ne comprends encore rien mais, angoissé, je pressens que je ne vais pas tarder d’être informé d’un grand, grand mal, irréparable. Shoover aussi s'est fait sérieux, il détourne les yeux et se met à faire les cent pas.

- Parlez, Shoover, chuchoté-je. Que s'est-il passé ? Qu'est-il arrivé au monde ?

Alors Shoover me fait le résumé suivant : (je remarque accessoirement que si c'est moi qui m'étais réveillé le premier, je n'aurais, à partir des indices, ni compris ni perçu ni déduit à rebours ce qui s'est passé ici, ni en vingt ans, ni en quarante ans – il fallait le génie, ce génie darwinien et laplacien de Shoover, pour reconstituer le passé à partir du présent et pour me présenter cette image cohérente).

 

Voici ce qui est arrivé :

À partir du premier siècle du troisième millénaire après Jésus Christ, l'évolution de la technique, rompant toutes les digues, a commencé à prendre des proportions telles que nous, avec notre vision naturaliste, ne pourrions ni imaginer ni concevoir. La meilleure comparaison sera de dire que les moyens techniques que nous appelions machines et outils sont apparus en de telles masses et une telle variété, ils ont tellement transformé l'aspect du monde, la surface de la Terre, que cet aspect a autant été bouleversé que par l'apparition de la prolifération, des phénomènes mouvants, grandissants et pullulants appelés communément la Vie, la multitude bariolée des plantes, des animaux et des hommes, après le refroidissement de la croûte terrestre. Le monde a été envahi par ces objets faits en ce qu'on appelle matériaux inorganiques, métaux, minéraux, verres, mobiles et actifs, servant et exécutant divers objectifs, dont les mouvements étaient alors guidés et dirigés naturellement par des êtres soi-disant humains. (Maintenant que je connais ce processus il m'est difficile de m'exprimer avec les paroles étranges du vingtième siècle ; je dois pourtant m'y efforcer pour me faire à peu près comprendre.) De multiples véhicules circulaient à la surface de la Terre, dans l'eau et dans l'air, des roues et des hélices tournaient, des machines vrombissaient, les radios hurlaient, les projecteurs lançaient des éclairs. Tout ce mouvement et ce fourmillement et ce vrombissement a fini progressivement par prendre le dessus sur cette faible titillation, ce doux gazouillis par lesquels jadis la vie avait coloré et embelli les terres et les eaux. Mais jusqu'alors tout cela ne pouvait pas provoquer une altération radicale de l'ordre du monde puisque, comme je le disais, la manivelle et le gouvernail des machines et des outils étaient entre les mains des hommes. Les machines appelées alors inanimées ont été créées par la vie, utilisées par la vie, dans l'intérêt d'un progrès de sa propre existence, de son fonctionnement plus achevé. Le véhicule, qu'il soit automobile ou avion, était une solution développée du pied, organe du déplacement du corps humain, tout comme la radio a lancé la voie humaine dans le lointain, le télescope et le microscope ont imité l'œil de l'homme à de multiples échelles.

Le grand pas décisif dans la mutation des choses, la naissance d'une nouvelle ère peut être comptée depuis la fin du troisième millénaire. Tous les indices montrent, pense Shoover, que la première machine autonome (délibérément je ne dis pas automatique, pour éviter tout malentendu) est apparue sur la Terre à cette époque. Il est probable et presque certain qu'elle a été créée par des hommes vivants. Son idée est née dans le cerveau d'un homme vivant, c'est un homme vivant qui l'a fabriquée de métaux et de minéraux à partir de cette idée, de la même façon que l'homme a été créé jadis par quelque dieu vivant à partir de la poussière de la terre.

Cette première machine autonome (les recherches de Shoover montrent qu'il s'agissait d'une sorte de véhicule) se distinguait des précédentes dans la mesure où ses mouvements étaient dirigés par un mécanisme servant ses buts propres. J'évite d'utiliser le mot homoncule car d'habitude nous imaginons un homoncule comme un mécanisme complexe voulant imiter l'homme, exécutant des activités humaines. Or ici il s'agit d'autre chose, de plus. Cette machine a été créée par l'application de l'action conjointe de diverses forces de façon que la machine se procure pour elle-même tout ce dont elle a besoin. Une fois lancée, elle fonctionnait un temps, aussi longtemps qu'il y avait en elle de la force motrice, carburant ou énergie électrique, peu importe ; quand la force motrice commençait à manquer, un automatisme amenait la machine, probablement à l'aide de réactifs chimiques, à un endroit où il y avait à disposition de l'essence ou une autre force motrice convenable. À cet endroit la machine se pompait automatiquement, disons, l'essence, puis elle continuait sa course jusqu'à avoir (n'ayons pas peur du mot) de nouveau soif. Il ne fallait pas craindre qu'en l'absence d'une soi-disant intelligence (c'est-à-dire quelqu'un au gouvernail) elle heurte quelque chose et se casse. La machine était équipée de toutes sortes d'antennes et de fins capteurs qui, au toucher d'un obstacle, tournaient automatiquement les roues à gauche ou à droite. (Nous avons tous vu déjà des jouets automatiques tels un hanneton qui ne tombe pas de la table, un papillon qui contourne la bouteille de vin.)

Cette machine, pourvue de cette capacité, on peut gaillardement l'appeler au sens terrestre le premier "perpetuum mobile". Cette machine fonctionnait dans un système de mouvement autonome tant que ses organes, ressorts, axes et engrenages divers, n'étaient pas usés ou épuisés.

De là ne pouvait en découler à la suite qu'un seul pas.

Rien ne nous empêche de construire un mécanisme automatique qui remplace de lui-même ses pièces usées par des neuves si elle peut "mettre le grappin dessus". Qu'est-ce qui empêcherait donc qu'à un moment donné, à l'intérieur d'une machine en fin de carrière un mécanisme automatique jusque-là au repos se mette en branle et qu'il reconstitue, en utilisant diverses forces motrices, une machine semblable à elle-même à partir de matériaux que l'on trouve partout ?

N'oublions pas que dans nos industries mécaniques, bien sûr avec l'aide de l'homme pour le moment, les machines sont fabriquées par des machines.

Le lecteur commence probablement à deviner ce qui est arrivé.

À la fin du troisième millénaire des machines et des automates sont apparus sur la terre, des merveilles mobiles, de formes et de mouvements variés, assemblées par pure curiosité par le caprice créateur gratuit, le goût de l'expérimentation de quelque génial ingénieur. Ces machines et ces automates n'étaient plus désormais au service d'un objectif humain quelconque. Si on les examine de façon séparée, autonome, anthropocentrique, sans objectif, ils vivaient une vie inutile, mais assurément ils vivaient. Ils couraient ou tournaient, ils sautillaient ou voltigeaient. À certains intervalles de temps ils se dirigeaient vers ou se déposaient sur des sources de pétrole, d'essence, de courant électrique ou de radium, ils se rechargeaient et poursuivaient leur évolution. Après quelques années ou quelques décennies de cliquètements ils se calmaient un peu et s'installaient à proximité de carrières de pierres ou de dépôts de ferrailles, ils se mettaient à travailler gentiment de même qu'un insecte qui s'installe à la fin de sa vie pour déposer avec des gestes réguliers et mécaniques ses œufs d'où sortiront en temps voulu d'autres insectes semblables aux premiers. Nos êtres machines aussi, une fois usés, se mettaient à travailler avec leurs pièces encore en bon état afin de construire et de lancer des mécanismes semblables à eux à partir de métaux bruts ou d'autres matériaux adéquats.

Ces mécanismes-là, une fois lancés, évoluaient, se nourrissaient, se multipliaient ou se reproduisaient.

Qu'est-ce que c'est d'autre, sinon de la vie ?

Et pourtant au premier siècle de leur apparition les hommes n'ont apparemment pas pris au sérieux l'importance de ces êtres autonomes, ils ne se sentaient pas menacés. Il était alors facile de se protéger d’eux à l'aide de machines où autres mécanismes différents, inertes. Une torpille, un obus de canon, un coup de vent artificiel les emportaient si par hasard ils mettaient les pieds là où on n'avait pas besoin d'eux. On ne pouvait pas les utiliser, mais on les brisait. Leurs sautillements, pirouettes, cliquètements, leurs gestes bizarres et grotesques devaient servir à amuser les enfants de ce siècle comme les nôtres s'amusent avec leurs jouets automatiques.

À cette époque-là l'homme était confiant, il l'était à juste titre. Le monde lui appartenait, aucun danger sérieux ne menaçait son existence : il avait depuis longtemps maîtrisé et domestiqué les forces douces de la Terre, la chaleur et la lumière, la foudre et le magnétisme.

Et il avait complètement oublié les autres forces gigantesques qui pendant ce temps-là sévissaient au dehors. Au dehors, au-delà du globe terrestre, sur la scène effrayante du cosmos.

D'après les calculs de Shoover, la catastrophe universelle, un second déluge, une nouvelle ère glaciaire ou appelons-la comme nous voulons s'est produite trois mille ans environ après notre catalepsie volontaire à nous deux.

C'était une averse de météorites. Totalement inattendue. Quelque chose avait explosé, une comète sulfureuse, à proximité du Soleil, et ses débris avaient attrapé la Terre. Le bombardement fut si violent qu'il a tout simplement balayé notre Lune. La Lune s'est dissociée de son noyau. C'est une autre lune, plus petite, qui a pris sa place, la plus grande des bombes météoritiques que l'attraction terrestre a captée immédiatement et forcée à se mettre en orbite ; depuis lors c'est elle qui tourne à la place de l'ancienne Lune. (Quelques jours après mon rétablissement j'ai moi-même vu cette lune nouvelle. Un corps ovoïde bizarre dans le ciel, il n'a pas encore pris la forme sphérique.)

La Terre, elle, est restée à sa place sur son orbite habituelle, sans basculer, sans même se déplacer sur son plan zodiacal. Toutefois sa surface a été passablement tourmentée par ce siège violent.

Une grande partie de l'Afrique et de l'Amérique du Sud se sont retrouvées sous l'eau. L'Europe a été asséchée, désertifiée par une chaleur torride (60 à 70 degrés !) de quelques années. Par la suite le sol fissuré a été inondé par des eaux, transformées plus tard en une couche massive de glace.

Alors une certaine année toute vie restante fut détruite. Apparemment c'est la débâcle des météorites s'éloignant qui a causé un tourbillon dans le milieu mystérieux qui emplit l'espace universel, or ce tourbillon a englouti une partie de l'atmosphère terrestre.

Tout périt.

En ce temps-là nous deux, Shoover et moi, gisions figés dans nos cercueils de marbre. Vraisemblablement cette partie du monde, les environs de New York, a également été un temps sous l'eau ou la glace, en absence d'air, ce qui expliquerait cette croûte verdâtre d'origine cosmique qui s'y est déposée. La Ville a plus ou moins survécu en l'état où elle se trouvait en l'an 3000 à 3500 après Jésus Christ, son soubassement de pierres dures a résisté à la série de chocs élémentaires.

Aux alentours du Pôle Nord, à la latitude de l'Alaska aussi quelque chose est resté. Durant des décennies ou des siècles, abrités, dissimulés dans des grottes souterraines, abêtis, dégénérés, oubliant leurs ancêtres, les membres d'une tribu sauvage, descendants chétifs des derniers Adam et Ève de la race humaine, épargnés par la catastrophe.

De la culture florissante des animaux et des plantes, juste quelques hommes.

Car toute autre vie animale avait péri n'en laissant pas même un dernier témoin. Le germe de la vie animale n'a pas supporté les terribles variations des températures.

Et lorsque, quelques siècles plus tard, les conditions climatiques ont pris un tournant plus favorable, cette tribu sauvage est ressortie de ses tanières et comme jadis des vallées du Gange, est partie prudemment, en tremblant vers le sud.

Elle ne se souvenait pas de son passé. Il y avait bien des traditions orales évoquant d'anciens dieux, leurs semblables, qui régnaient autrefois sur la Terre : ils maîtrisaient la foudre et le vent.

Mais ensuite vint pour eux le diable. Des monstres et des bêtes sauvages peuplaient le monde. Des dragons et des hydres. Des créations diaboliques.

Seule une force divine peut les mettre sous contrôle. Seul un être divin peut les domestiquer, les charmer.

Un dieu, ou un grand prêtre d'origine divine.

 

III

 

Ici Shoover marque une pause en attendant que je reprenne mes esprits. Après seulement il ajoute, tête baissée, doucement, sans ironie :

- Actuellement, pour eux ce grand prêtre d'origine divine c'est moi, qui d'autre ?

Je dois rire. Rire amèrement.

- Vous, Shoover ? Shoover, l'idole des sauvages ?

Il hausse les épaules.

- Que voulez-vous ? J'aurais préféré être maître assistant à l'ancienne université de New York. J'ai dû assumer mon rôle. N'oubliez pas : mon apparition avait tout du miracle pour eux. J'étais tombé du ciel. Il n'y avait rien à expliquer. Leur cerveau était beaucoup trop abêti pour concevoir la vérité que moi, témoin du grandiose passé de l'espèce humaine, pourrais clamer. Puis, en vérité, quelquefois quand dans mes moments de liberté j'évoque le passé j'ai moi-même l'impression que nous étions alors des espèces d'êtres surnaturels ici, au seuil du vingtième siècle. Ne le pensez-vous pas ?

- Ma foi… par rapport à ceux d'ici…

- N'est-ce pas ? Par rapport à ceux d'ici, ce que nous étions, ce que nous savons, nous distingue, nous place au-dessus d'eux au moins autant qu'un quelconque demi-dieu mythologique dans l'imagination d'un misérable paysan hellénique.

Il reste pensif.

- Qui sait ? Ils ont peut-être vraiment vécu, ces demi-dieux… Puisque nous avons vécu, nous aussi…

Ses mots éveillent en moi une étrange lueur incertaine. Comme si je voyais à la fois le passé et le présent éclairés l'un par l'autre à travers un voile de brume.

- La mythologie…

- Dont nous sommes les demi-dieux. Si j'y pense, qu'y aurait-il d'exagéré là-dedans, tout au moins selon leurs notions à eux ? Et même s'ils nous prenaient pour un dieu véritable, un créateur ? Puisque ce qui est resté de l'ancien monde, ce qu'ils considèrent comme l'essence existant depuis toujours du monde contemporain, c'est effectivement nous qui l'avons créé à partir du néant, nous, malheureux dieux humains qui avons mordu la poussière ! Ni Diable ni Satan comme ils se l'imaginent…

Il a prononcé ces mots avec passion. Tout à coup la lumière s'est faite en moi… Je balbutie :

- Les dragons… Les bêtes sauvages… Les monstres…

- C'est exact. Les animaux ont disparu de la terre. Eux ne savent même pas qu'ils ont existé. Seuls ces maudits automates ont survécu à la catastrophe car ils ont supporté le froid et la chaleur. Ce sont eux qui ont proliféré parmi les ruines. Parmi les ruines qui pour ces doux sauvages représentent la même chose que la nature, les chaînes de montagnes, les amoncellements de rochers, pour nous.

- Vous croyez ?

- Si je le crois ? Je le sais. Mes fidèles considèrent que les ruines encroûtées de New York sont des phénomènes naturels, parties organiques de la Terre, comme pour nous le Vésuve ou l'Etna. Comprenez-moi : ils prennent ce que nous avons créé pour un phénomène naturel, une création divine ! Vous comprenez maintenant pourquoi j'ai dit que de leur point de vue ils ont raison quand ils nous confondent avec des dieux ? Oui, ils errent ici au milieu de ces ruines, avec leurs massues naïves. Les vieilles maisons, la salle de réception du président, ils les prennent pour des grottes et des cavernes naturelles où il est possible de se cacher des dragons. Tout simplement !

- Donc, cette espèce de voiture qui m'est rentrée dedans…

- Une descendante tardive d'un quelconque véhicule automobile inventé il y a deux mille ans par un mécanicien irréfléchi, tout comme là, dans ce coin, mon unique animal domestique, objet de l'adoration superstitieuse de mes fidèles, est un descendant tardif d'un stupide aspirateur ou de quelque chose de ressemblant qu'ils ont rendu autonome. Je n'en viens pas à bout moi non plus en général ; c'est le seul que j'ai réussi à apprivoiser, à comprendre, j'ai trouvé un ressort et une vis que je peux régler pour me faire obéir. Le reste, toute sorte de mécanismes volants, des espèces d'autos, des toupies, des machines à tisser bâtardes, des pianos mécaniques étranges – le Diable ne comprendrait pas leur construction ! Ils attaquent, ils se défendent, ils ont une force inouïe. Certains sont dévoreur d’hommes : leur carburant doit apparemment être réglé pour tourner au sang humain. Il y en a qui hurlent !

- En effet ! Ce boucan infernal !

- À qui le dites-vous ! Autrefois les phonographes et les radios étaient au service de l'homme. Maintenant, libérés, ils récitent des vieilles rengaines, c'est tout ce qu'ils savent faire. Vous les entendez ? Écoutez cette voix qui se distingue du reste, n'est-elle pas horrible ? Y reconnaissez-vous la mélodie d'un vieux negro-spiritual ?

- Un beuglement allongé…

- C'est tout aussi terrifiant pour mes fidèles qu'était pour nos ancêtres le hurlement du dinosaure ou du mastodonte. Mes fidèles les combattent.

- Les combattent ?

- Vous ne l'avez pas vu ?

- Oui, bien sûr… Cette frayeur quand est apparu le dragon !

- Nos ancêtres fuyaient de la même façon lorsqu'un lézard volant frappait au milieu d'eux.

 

IV

 

Bien plus tard, en nous promenant dans la rue tandis que les bêtes sauvages vrombissaient et grondaient autour de nous dans leurs cachettes, j'ai timidement et sans grand espoir posé la question :

- Et… L’avenir ?

Il s'arrêta au bord de la rampe rocheuse pour regarder à ses pieds dans le gouffre du cratère de la Vieille Ville.

- Qui sait ? Des vagues enflent et disparaissent, elles se cabrent du fond du Temps, elles se retirent, puis déferlent à nouveau. Nous venons d'arriver au pied d'une nouvelle vague. Cette époque ressemble à ce qui reste des fragments d'anciennes cosmogonies, genèses et mythologies. Nous, anciens dieux, sommes morts, nous avons délaissé la Terre, tandis que sur la Terre est apparu – ils pensent que c'est pour la première fois – l'homme chassé du Paradis Terrestre pour labourer de nouveau la vieille jachère à la sueur de son front, à la rosée de son sang, pour avoir du pain. Qu'y aura-t-il ensuite ? Vraisemblablement nous sommes les témoins d'une nouvelle épopée. Le berceau de héros tueurs de serpents, de Siegfrieds et d’Hercules est devant nous. La nouvelle Iliade. Homère attendra encore longtemps avant de naître. Il convient d'abord de rendre cette terre plus sûre, pour qu'il puisse naître. Il convient de vaincre le Minotaure, il convient de couper les douze têtes de l'hydre braillarde, il convient de lutter contre le Dragon des mers. Aussi longtemps que survivra ne serait-ce qu'un seul des monstres antiques – vous les avez vus – il ne peut être question de poésie et de civilisation.

Mais le héros de la nouvelle épopée, est-il déjà né ? Siegfried et Hercules, sont-ils déjà nés ?

Il me regarda.

- Ne vous rappelez-vous pas l'homme svelte et fier qui, quelques minutes avant l'apparition du dragon, n'a pas été saisi par la peur mais a osé l'affronter ?

La lumière se fit en moi.

- Bien sûr !

Il désigna la profondeur.

- Regardez par-là !

En bas, dans une fissure d'un des cratères, un groupe étrange sous un chapiteau tissé de la lumière rouge des rayons du Soleil, des hommes sauvages nus, le visage sur le sol, font cercle autour d'un homme. C'est lui, je le reconnais. Justement il se baisse, il met le feu à quelque chose. Une haute colonne de fumée ardente s'élève. Le groupe prie en gémissant.

Un sacrifice rituel sanglant, offrande aux dieux courroucés.

- Qu'est-ce qu'ils font brûler ?

- Le cadavre d'une bête sauvage qu'ils ont capturée. Dei-, leur chef, l'a abattue hier avec sa massue. J'ai vu le fauve, il était facile à reconnaître à sa forme. Je ne pense pas me tromper, ses ancêtres étaient des machines qui imprimaient des livres.

 

Suite du recueil