Karinthy
le visionnaire
Karinthy avait une prédilection
particulière pour les anticipations. Ses nouvelles de science fiction ne sont pas
des jeux gratuits, mais soit des paraboles, soit des satires sociales, soit des
visions d’avenirs possibles. Son célèbre "Je ne
plaisante pas avec l’humour" peut aussi se comprendre comme "Je
ne plaisante pas avec la fiction". C’était aussi un joueur
impénitent : un manipulateur de mots et d’idées. Il ne
plaisantait pas avec le jeu…
Chemin faisant, il anticipe, souvent par
jeu, justement, parfois avec le plus grand sérieux, des concepts ou des
découvertes qui n’apparaîtront que plusieurs dizaines
d’années après sa mort. Des découvertes parfois
liées aux techniques modernes, parfois des concepts encore inconnus de
son temps, parfois des idées (des utopies ?) qui se réaliseront
peut-être un jour. Il n’était pas un visionnaire
méthodique, il lançait ses anticipations comme ses aphorismes,
comme ses plaisanteries… en passant… avant de passer à autre
chose.
Les concepts :
Prophéties auto réalisatrices :
C'est en 1949, dans "Social Theory and
Social Structure" (traduit en français sous le titre
"Éléments de théorie et de méthode
sociologique") que Robert K. Merton a développé la
notion de prophétie auto réalisatrice à partir du
théorème de Thomas. Il la présente ainsi :
“C’est, au début, une définition fausse de la
situation qui provoque un comportement qui fait que cette définition
initialement fausse devient vraie”. (On en a beaucoup parlé quand
le financier Georges Soros a fait plonger la livre
sterling en affirmant qu’elle devait plonger, en 1992).
En 1918, Karinthy écrit dans le texte
"Pogrome et
acolytes" : « Vous ne savez toujours pas que tout ce
qui est mal et méchanceté et ignominie n’a pu se produire
que parce qu’il y en avaient qui le croyaient
possible ? Ne connaissez-vous pas la prophétie qui provoque ce
qu’elle a prédit ? »
Il précise sa pensée en 1926,
dans sa nouvelle " L’oracle
de Macbeth", « Si cela a échappé à
quelqu’un : on appelle oracle de Macbeth (d’après la
prophétie de cette nature que l’on trouve dans Macbeth de
Shakespeare) les prédictions qui, volontairement ou inconsciemment (de
bonne ou mauvaise foi) provoquent ce qu’elles
prédisent : ce ne sont donc pas des prédictions à
proprement parler, mais des suggestions (plus rarement) conscientes ou
(le plus souvent) inconscientes, qui s’immiscent auprès de notre
volonté sous le déguisement du stimulus le plus efficace
chatouillant notre désir le plus avide, la prescience, afin de
l’influencer, d’y implanter subrepticement des
éléments de volonté étrangers, de la mettre au
service d’une volonté étrangère. »
Six degrés de séparation
Plus de six mille références
apparaissent sur Internet à
ce propos. Citons ici un article de Wikipedia,
traduit de l’anglais :
« Les "six degrés de séparation"
est une théorie établie par le hongrois Frigyes Karinthy en 1929
qui évoque la possibilité que toute personne sur le globe peut
être reliée à n'importe quelle autre, au travers d'une
chaîne de relations individuelles comprenant au plus cinq autres
maillons. (voir la nouvelle "Chaînons") Avec le développement des
réseaux sociaux, notamment MSN et Facebook, le degré de
séparation moyen est mesuré précisément à
6,5.Cette théorie est reprise en 1967 par Stanley Milgram
à travers l'étude du petit monde. […] Elle a
été illustrée en 2008 par Eric Horvitz
et Jure Leskovec, chercheurs chez Microsoft, en
analysant des discussions de Windows Live Messenger. Cette théorie peut
se démontrer de nos jours avec le site Facebook, qui met en
évidence les liens que nous avons avec les autres
et les liens que nous avons avec des personnes que nous ne connaissons pas
(amis de vos amis). Elle est encore plus manifeste sur LinkedIn, qui signale le
degré de séparation entre deux individus ainsi que les
"chemins" possibles qui relient un individu à un autre
à travers leurs réseaux relationnels respectifs. »
Séparation de la
sexualité et de la procréation
Il s’agit d’un mythe aussi
vieux que l’humanité. Mais l’imaginer concrètement
possible n’est apparu qu’à partir des années 1960.
Karinthy en annonce la venue en 1929 ("Cette dame charmante") :
« Quand nous aurons appris, non seulement la construction mais aussi
la création des pierres de
construction – on pourra envisager de séparer la
nécessité et l’amour – de séparer le sourire
de Cette Dame Charmante et l’amère contrainte de la
conception. »
Comment définir la
folie ?
Pierre-Henri Castel écrit dans la revue Sciences humaines
(Grands dossiers, n°20, septembre 2010) : « Une maladie
mentale ne se résume pas à sa définition médicale.
Elle s’inscrit dans un contexte donné, où les patients
eux-mêmes participent à la définition de ce qui est normal
ou non. […] Car être malade c’est quelque chose qui arrive
non à un organisme, mais à un être social. La santé
n’est pas juste un état du corps, c’est aussi une valeur, et
bien sûr une norme (capitale pour le fonctionnement de
l’économie, par exemple). […] On peut craindre que certaines
maladies ne deviennent alors davantage des « phénomènes
sociaux » que de stricts faits médicaux
(on l’a dit des formes mineures de la dépression, de
l’hypertension, etc.). Prenez les handicaps, physiques, mentaux et maintenant
« psychiques ».
Ils sont en train de qualifier le code de la bonne vieille maladie en « perte
sociale » :
diminution d’autonomie, de qualité de vie… Désormais,
objectivement, se sentir mal dans sa vie de relation semble bien suffire
à interpeller la médecine. »
Karinthy dans Tout est autrement ("Maître boulanger") :
« Que quelqu’un soit malade mental (à l’exception
de la paralysie), on ne peut "pas encore" (comme on a coutume de le
dire) le constater objectivement, en se basant sur l’altération du
cerveau et du tissu nerveux – c’est impossible, même a
posteriori, par l’anatomopathologie. La science est contrainte de se
contenter de symptômes, de certains actes qui sont effectivement
irréguliers. Elle en constitue son diagnostic. Autrement dit la science
ne fait pas autre chose que décrire les actions bizarres et anormales
observées. […] Car aussi longtemps qu’on ne pourra
pas démontrer les altérations des tissus cérébraux,
nous serons contraints de définir l’aliénation comme
suit : est aliéné celui qui exécute ce qu’il
pense, même si on n’a pas l’habitude d’exécuter
cela à l’époque et à l’endroit où on
vit – est aliéné celui qui agit comme il le juge bon,
même si ce faisant, à l’endroit et à
l’époque donnés, il peut occasionner des ennuis à
lui-même ou à autrui. »
Et
dans le recueil Panorama ("Nul n’est nerveux
avec son supérieur") « …aujourd’hui
il n’y a plus guère de gens dans le système nerveux
desquels la pratique médicale parfaitement maîtrisée ne
saurait déceler les symptômes de ces altérations
pathologiques dont la synthèse conduit au classique diagnostic clinique
des diverses neurasthénies, hystéries, névroses et
psychoses, dans un état de pureté qui enchante le médecin
consciencieux. »
Les techniques :
Dangers de la
radioactivité
Les risques de cancer liés à
la radioactivité ont été découverts en 1927
En 1913, Karinthy en a l’intuition
dans "L’ascenseur
monte plus haut" : La nouvelle raconte l’agonie d’un
jeune chercheur qui emporte un tube contenant du radium ; finalement
« Le jeune assistant fut retrouvé à deux heures de
l'après-midi dans l'ascenseur. […] on retrouva le radium dans ses
vêtements et on émit l'hypothèse qu'une émanation du
radium peut paralyser certaines fonctions de l'organisme. »
Et un étrange texte de juin
1932 :
Ils
ont fait exploser l’atome, ces gens extraordinaires, et par là
même ils ont libéré une source d’énergie terrifiante
– une force pour gouverner le monde dans une poignée de
sable ! Imaginez ! Cette explosion atomique permettra de remplacer la
force motrice des moyens de transport par…
L’énergie de la fission est
censée avoir été découverte en décembre 1938
en Allemagne. Karinthy n’était pas physicien. C’est
probablement Leó Szilárd
ou Eward Teller (ils étaient à Berlin
jusqu’en 1933) qui ont fait paraître un article sur
l’éventualité de la fission nucléaire
(réalisée pour la première fois en décembre 1938 à
Berlin).
Le
circuit de la récompense
Si le poète a jamais senti
l’amour comme "doux", on peut mettre sa main à couper
que la science finira par démontrer qu’une parenté existe
entre notre organe de la dégustation et nos sentiments amoureux dans le
système nerveux central. (Découverte de Dieu)
Internet, vidéo,
livre électronique, webcam…
En 1926, dans "Radio !...
Radio !...", Karinthy écrit : « Encore
quelques décennies et l’Homme effacera toutes les distances,
rendra superflu tout mouvement, alors que par
l’accélération incroyable de la vitesse il a
déjà rendu les distances minuscules. Alors sa chambre se sera
vraiment transformée en un château enchanté
d’Aladin : s’il relie l’Oreille qui entend loin avec
l’Œil qui voit loin, un mur de la pièce se transformera en
fenêtre devant laquelle défilera le panorama des quatre coins du
Monde à une allure circulaire vertigineuse, l’arrêtant
là où il le désire. Un tube devant sa bouche, des casques
aux oreilles, devant lui un écran blanc. Et s’il veut savoir et
voir, il hurle dans le tube : « Hé, Pista, je pense
à toi, ça fait dix ans que je ne t’ai pas vu, où tu
es ? », et la seconde d’après la réponse
arrive dans les écouteurs : « C’est toi, Muki ? Je suis assis sur le toit de ma maison à
Pékin, eh bien, que fais-tu là-bas à Budapest ?
J’ai très bonne mine, regarde ! »
Et en 1929 dans "Panorama" :
« Les experts prétendent que la transmission de l’image
mouvante parfaite sur les ondes radio est résolue – ce n’est
plus très long, plus qu’une question de temps pour que notre
appareil de prise de son, notre lampe magique d’Aladin, soit
complétée du miroir magique de Tanagra, une petite plaque de
verre. Sur cette plaque, si je donne deux tours, apparaît Eastern-Square, sous le soleil de midi, avec mon
beau-frère au milieu en train de traverser la chaussée – si
je donne trois tours apparaît à volonté le Pôle Sud,
quatre tours c’est le Sahara, des tours supplémentaires, la
réception de Lady Windermere ou éventuellement une
exécution à la chaise électrique à Sing-Sing. Le monde existant en tant que panorama
accessible à tout instant – c’est le panorama du proche
avenir. Un monde simultané à la fois dans ma perception et
ma conscience – un monde dans lequel deviennent inutiles la rêverie
et l’imagination, toute conclusion laborieuse et non fiable,
déduction du connu vers l’inconnu – c’est la
réalité à la place de l’imagination, le
résultat final à la place de la déduction, sur place,
livré à domicile. »
Dans "Film", extrait du
recueil Tout est autrement :
« [C’est] mon idée sur le livre du millénaire
à venir, sur cette petite boîte rectangulaire sur le dessus de
laquelle, comme dans un miroir, se déroule dans la
réalité, devant toi, le roman,
[…] de la même façon qu’aujourd’hui les minces
alignements de lettres d’un livre le projettent devant toi […] Tu
as tout à fait raison dans la suite de ton raisonnement quand tu dis que
l’imagination ainsi servie
risque de devenir paresseuse et de dégénérer,
puisqu’elle reçoit tout fait ce que jusque-là elle devait
créer pour elle-même – mais comment peux-tu savoir quelle
nouvelle force, nouvel élan recevra la Pensée, en profitant du
surplus d’énergie qui lui parvient ainsi ? »
Dans "La pensée
photographiée" : « Allons… Ne voyez-vous
pas la petite lentille de verre sur le couvercle ?… Regardez
à travers, ajustez les cordons qui pendent sur le côté
à vos oreilles… puis appuyez sur le bouton qui se trouve au coin
du livre… »
Dans "L’art
Théâtral" : Imagine que dans
cent ans ou deux cents ans tu prennes en main un livre qui ne se composera pas
de lettres imprimées sur du papier. Ce n’est pas feuilleter dedans
qu’il faudra, mais tourner dessus quelques boutons ou manivelles
latérales – et sur l’unique page du livre que
jusqu’ici il fallait lire, transformer les lettres en mots et les mots en
pensées – à la
place et sans toutes ces médiations fatigantes, tout simplement ça se produit. Tu vois devant tes
yeux la véritable histoire de X ou Y telle qu’elle s’est
produite, ou telle que des comédiens l’ont jouée.
L’horloge universelle
Ernest Esclangon devient directeur de
l'observatoire de Paris en 1929. En 1933, il invente l'horloge parlante.
En 1926 dans "Le grand émetteur",
Karinthy écrit : « Il conviendrait d’organiser des
horloges radio […] dans lesquelles un mécanisme de montre
spécial ne serait pas nécessaire, juste un récepteur. Et
sur un point quelconque de la Terre existerait une très grande horloge
émettrice, c’est elle qui ferait fonctionner toutes les montres du
monde, les pendules murales, les horloges des clochers et les montres
goussets. »
Le pilotage radio des horloges date des
années 70, il s’est généralisé depuis.
La communication
iconographique
"Iconographie"
(1926) : « J’affirme que la méthode de
communication par images, illustrations, joue de nos jours
déjà un rôle plus grand dans la culture pour informer et
distraire les masses que le mode de communication abstraite des notions,
représentée dans des langues diverses et des arguments divers
qu’est l’écriture. L’espéranto des
icônes, ce véritable langage universel en tant que tel,
conquiert à pas de
géants le monde ; cet alphabet illustré, cette encyclopédie
gigantesque en préparation dont les entrées sont
constituées par des logos exprimant les notions en images, enseigne
Fichiers informatiques
De
"Nombres"
dans tout est autrement : « Je
suis introduit dans mille sortes de listes, de registres, de dossiers, je dois
connaître les numéros qui m’ont été
attribués, mes gestes, mon attitude, toutes les nuances de mes contacts
avec les gens sont déterminés par le rang qui me classe à
leurs yeux, où, à qui, à quoi j’appartiens, combien je vaux dans l’univers
des quantités – le numéro est une question de vie ou de
mort puisque je peux me tirer une balle dans la tête s’il
s’avère que je ne compte
plus, je suis un zéro, une quantité négligeable, je
suis le Grand Néant qu’il ne faut plus compter au rang des
vivants. »
Surveillance et protection de la vie
privée
Dans
"Vision lointaine"
chronique de presse en 1931 :
« L’œil qui voit tout –
peut-être serait-il mieux de ne pas évoquer ce
fantôme !
Homme, prend garde, regarde sous tes pieds – tu
risques de trébucher !
Indiscrétion universelle – prends garde
au danger de ce dernier pas !
Moi je m’en lave les mains. Mais seulement en secret, retiré dans ma salle de bains que je clos d’un mur de plomb qu’aucune lumière ne puisse traverser. Qui ça regarde, mes affaires de toilette ? »
Les anticipations (les
utopies ?) :
La télétransportation
La télétransportation
a été imaginée en 1934. Il s’agit du transfert
d’un corps dans l’espace sans parcours physique des points
intermédiaires entre départ et arrivée. C’est un
thème très souvent abordé dans la littérature de
science-fiction (La première mention, Karinthy excepté, date de
1945 : Le cycle du Ā
Dans le domaine scientifique, seule la
téléportation quantique a été expérimentée.
En 2009, des chercheurs américains ont transféré de
manière instantanée l'état
quantique d'un atome d'ytterbium vers un autre situé à
Dans "L’incarnateur",
Karinthy écrit en 1924 : « Sur le podium, la porte
à guillotine de l'armoire en sélénium tomba. Sylvia V9
qui quarante-cinq secondes auparavant était entrée dans
l'émetteur, copie complémentaire de l'armoire en
sélénium sur le côté opposé du Globe
terrestre, en Floride, et qui maintenant se tenait là souriante devant
eux, V9 regardait autour d'elle dans la salle, les yeux
papillotants. L'éblouissante lumière bleue des lampes à
mercure soulignait ses contours. »
La scène est censée se passer
en l’année 6826 et les savants repêchent des vestiges de papier
écrits par l’auteur…
Coloniser les océans
Dans Capillaria, Karinthy imagine une
civilisation subaquatique où le héros survit grâce à
des branchies artificielles. Cette idée de branchies revient à
plusieurs reprises dans des nouvelles, mais en 1929 il défend ("Humains, immergeons-nous")
l’idée que pour l’humanité, la seule façon de
survivre est de coloniser les océans pour y créer une
civilisation en trois dimensions, grâce à des branchies
artificielles.
Jacques Cousteau a émis
l’idée en 1962. Une première expérimentation, en
cours en 2010 en Israël, serait prochainement au stade du
développement…
Voir la pensée
Karinthy était constamment
préoccupé par les mystères du fonctionnement du cerveau.
Dans "Le visage de
l’âme" ("Deux bateaux" – 1915) il imagine
que l’on peut voir la pensée en faisant fonctionner le
système visuel à l’envers. Dans "La pensée
photographiée" il s’imagine fantôme en l’an
3500, évoqué par une certaine Digitale :
« Comprenez que dès le début du millénaire la
littérature a découvert que
plutôt
qu’écrire : "une belle fille est entrée
dans la pièce"… il est beaucoup plus simple de montrer
l'image que je veux évoquer… En ce qui concerne la technique de la
chose… vous ne pouvez évidemment pas être au courant… ».
Cela va bien au-delà de
l’imagerie cérébrale qui pour l’instant n’a pas
pour ambition de décrypter concrètement la pensée, mais
qui en est à localiser les aires du cerveau stimulées par des
pensées ou des émotions.
L’humanité
augmentée, l’homme machine, les cyborgs
Dans l’article de presse « Où va la jeune Indoue ?... »
publié dans la presse en 1932, Karinthy écrit :
« Nous sommes habitués
à la bizarrerie que la présence de la voix humaine, la
manifestation humaine la plus directe, la plus vivante, la plus
présente, ne signale plus la présence d’un être
humain – nous nous sommes accoutumés à cela aussi comme
nous nous sommes accoutumés au siècle dernier à ne pas
considérer les objets mouvants, filants, haletants et cliquetants comme
les corps chauds d’animaux vivants : l’automobile ne
correspond pas à un chien qui aboie, comme nous l’ordonnerait
l’instinct. L’homme se sublime en une divinité, ses
facultés démontées et parcellisées et ses
propriétés s’affinent en des notions abstraites, des forces
naturelles immortelles, la chaleur et l’électricité, et le
temps pourrait venir où la présence du corps brut, baveux et
gélatineux, pourrissant et se désagrégeant ne serait plus
nécessaire en ce monde : sa voix et son verbe flotteraient
là, entre terre et ciel, dans la stratosphère, ses images
seraient reflétées par les nuages, ses souvenirs et ses
pensées conservées par la lettre. Oui, c’est ainsi que
ça se terminera si ça continue ainsi. Pour le moment, grâce
à Dieu, nous possédons encore notre corps mortel, le brevet
primitif de la nature que l’inventeur, notre infusoiriste, avait
bricolé d’eau salée et de matières colloïdales.
Et si ce n’est pas à autre chose, il peut encore très bien
servir de plan pour l’Homme Reconstruit à créer par la
technique : toutes ces innovations ne font après tout que
refléter, renforcées et généralisées, les
idées et pensées originales de la vie. »
De même, dans Nouvelle
Iliade, les machines sont devenues autonomes et ont pris le pouvoir.