« N’aimez-vous pas cette
nouvelle lumière et ces êtres mystérieux, annonciateurs
d’une vie nouvelle ? ». Dans « La ballade des hommes muets »,
le récit qui a donné son titre au volume, l’existence
naufragée dans les profondeurs sous-marines où navigue une
musique «dont les
paroles ne demandent pas de réponse » donne
le ton de l’ensemble du recueil : la vie et la mort
étroitement superposées, pesant l’une sur
l’autre, le bonheur et le malheur, l’amour et
l’indifférence, mais aussi l’humour, la satire, la
parodie, le décalage narratif donnant la primauté à
l’absurde de situations sociales convenues.
L’unité
n’est pas monotonie, au contraire. Chaque nouvelle a sa
spécificité, son originalité, mettant en
scène des hommes et des femmes dont le pittoresque le dispute
à une humanité qui n’échappe pas à la
distance critique. « Rencontre »,
« Idylle », « Le
péché », «Aimer une femme »,
« Drame psychologique normal »,
« Honneur viril », « Une bonne
blague», « Femme »,
« Affreux », « Maquillage »,
ces titres et d’autres annoncent des récits à prendre
au second degré, des anecdotes à la limite de
l’étrange, des évocations qui analysent sans
concessions mais avec une certaine tendresse la complexité de
l’âme humaine. « L’âme est un petit homme dans un corps
humain – il a la taille de mon pouce. Il peut se trouver dans
l’estomac, parfois il monte dans la tête, il avance, il
s’installe dans les yeux ou il recule et s’allonge sur le
coussin mou du cervelet. Quelquefois, il reste coincé dans la
gorge et c’est de là qu’il parle et quelquefois il
court jusqu’aux mains. Il ne parle pas bien le langage des hommes,
il se tortille en bégayant et il secoue nerveusement sa prison
inconfortable. Mais là où il est niché, qu’il
soit pierre ou homme, cet objet doit bouger ».
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Frigyes Karinthy (1887-1938),
poète, nouvelliste, philosophe, situe beaucoup de ses histoires dans
son pays natal, parfois dans tel quartier précis ou dans telle rue
de Budapest. Mais il ne s’agit pas de chroniques au sens strict du terme
; ou si chroniques il y a, elles concernent le genre humain dans toutes ses
dimensions, et en toute poésie.
Jean-Pierre
Longre
(août 2005)
Jean-Pierre Longre, enseignant en littérature du XXème siècle
à l'Université Jean Moulin Lyon 3, est l'auteur d'une
thèse sur Raymond
Queneau, de divers ouvrages, dont Queneau en scènes
(PULIM, 2005), ou articles sur des écrivains contemporains et sur la
comparaison des langages littéraire et musical. Il a
participé à l'édition des romans de Queneau dans la " Pléiade
", et effectue des recherches sur les littératures francophones
(Roumanie, Belgique, Québec).
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