Comment l'homme et la femme pourraient-ils se comprendre ? car en fait tous deux souhaitent des choses différentes : l'homme, la femme ; et la femme, l'homme.
Frigyes Karinthy,
écrivain hongrois, est merveilleusement représentatif de ces
écrivains du Mittel-Europa (Europe Centrale),
qui de l’observatoire de leurs tables de cafés, scrutaient leur
temps et le déchiffraient. Comme avant lui Karl Kraus à Vienne,
son humour ravageur et décapant a servi de révélateur
à toute une société. Cette féroce et parfois
cruelle ironie a fait de lui « l’enfant terrible des lettres
hongroise ». Il avait en lui le goût de l’imaginaire
onirique, de la farce mettant à bas nos conventions et notre vision des
choses. Sa jubilatoire façon de jouer avec les mots, les apparences, les
sentiments sont presque impossibles à rendre hors de la langue
hongroise. Aussi il n’a pas en France la place qu’il mérite.
Il excellait dans les formes ramassées et percutantes. L’art du
cabaret, proche de l’univers berlinois ou viennois, mais avec les
particularités hongroises de dérision et d’imagination
débridée, va irriguer son œuvre. Sa politesse du
désespoir, parfois plongeant dans la tristesse et
Il était né le 24 juin 1887 à Budapest dans une famille passionnée de culture. Très tôt ses caricatures de ses contemporains, ses charges féroces contre la médiocrité le font connaître et il devient célèbre et redouté très jeune. Sa production dite « sérieuse » en aura souffert car on ne retiendra que le dynamiteur de son temps par l’humour. Pastiches, farces cruelles, contes philosophiques, romans, nouvelles, jalonnent son parcours triomphal de 1910 à 1930. « En humour, je ne plaisante jamais » sera sa devise.
En 1936, atteint d'une tumeur au cerveau, il est opéré à Stockholm, grâce à une souscription nationale. Il raconte sa maladie dans Voyage autour de mon crâne. Il meurt le 29 août 1938 lors de vacances à Siófok d’une attaque cérébrale. Il reste encore maintenant l’écrivain le plus populaire et le plus lu dans sa patrie. Lors d’une histoire étrange et loufoque on dit encore « Est-ce une Karinthy ? ».
Pour faire passer un peu de l’énergie féroce de Karinthy il fallait un hongrois pour saisir les subtilités de ce rire. C’est Moshe T. Zuckerman qui ayant traduit trois recueils de nouvelles, Je ne plaisante pas avec l’humour, Tout est autrement, Qui t’as sonné ? nous introduit à cet univers.
Frigyes Karinthy (1887-1938) est sans doute le plus grand humoriste
hongrois. Il représente la victime typique de ce qu'il faut appeler le
barrage dû à
Sans conteste, Frigyes Karinthy est le meilleur représentant de cet humour budapestois bien particulier, de l'époque de la monarchie austro-hongroise, au début du siècle, et même, plus tard, de celui du lugubre régime réactionnaire de Horty. Cet humour émane du creuset où se mêlent de nombreuses minorités : juive, slovaque, croate, serbe, qui cherchent à s'assimiler, à s'affirmer dans la majorité hongroise, ou vis à vis d'elle. Cette dernière n'était elle-même qu'une minorité nationale et culturelle par rapport à la civilisation germanique dont elle cherchait à se libérer.
Cet humour si particulier, féroce, cruel, est le marqueur de cette époque révolue. Comme tous les grands humoristes, Karinthy était aussi un moraliste humaniste. Appartenant aux jeunes talents (Ady, Babits, Moritz, Kosztolanyi) qui se sont regroupés autour de la revue littéraire Nyugat, (Occident) à l'avant-garde de l'esprit d'ouverture et de progrès, il fut l’un des rares, qui lors de la grande folie meurtrière de la première guerre mondiale qui entraîna l'intelligentsia hongroise dans un délire chauvin, garda raison et se moqua dans son style corrosif habituel de ses confrères écrivains va-t'en-guerre. Pacifiste, espérantiste convaincu, il lutta de tous ses moyens littéraires - humour, poésie, polémique - contre le fascisme et l'antisémitisme qui gagnaient du terrain en Hongrie à partir des années vingt et qui, plus tard, s'étendirent en Europe. Pilier des cafés connus de Budapest, ses anecdotes, ses bons mots faisaient le tour de la capitale, comme c’était l'habitude pour Tristan Bernard à Paris.
Observateur averti des hommes et des événements, ses propres expériences lui servaient souvent de source d'inspiration. Ainsi, à la fin de sa vie, il forge un récit drôle et poignant de sa maladie, une tumeur au cerveau: Voyage autour de mon crâne. Il y raconte les péripéties de son voyage en Suède et de son opération au cerveau par le plus grand spécialiste de son temps, Olivererona. L'opération réussit mais deux ans plus tard il rechute et décède à l'âge de cinquante et un ans.
Ce fut l'un des meilleurs écrivains de la Hongrie du vingtième siècle, en tout cas le plus grand humoriste hongrois. Il est temps qu'il occupe aussi la place qu'il mérite dans la littérature européenne
Pour introduire Frigyes Karinthy devant le public français, voici quelques courtes nouvelles représentatives de l'auteur dans ce domaine et traduites pour la première fois.
Moshé T. Zuckerman