Frigyes
Karinthy : "Nouvelles parues dans la presse"
Souvenir de
quatorze
(Très respecté Monsieur le
Rédacteur,
J’attire votre attention, ces quelques
lignes ici, entre parenthèses, se rapportent à l’article
qui suit mais n’en font pas encore partie, ce n’est qu’une
lettre. J’ai cru bon de le préciser pour
éviter que le typographe les compose par hasard, ce qui me serait
très désagréable. En effet, je souhaiterais écrire
sur la situation quelque chose d’intelligent et de drôle, avec
cette ironie caustique et cette satire tranchante que vous attendez de moi,
Monsieur le Rédacteur. D’autre part, je peux vous le dire en toute
franchise, Monsieur le Rédacteur, je suis extrêmement confus et
triste, si bien que je suis incapable d’écrire des choses
caustiques, drôles ou ironiques ; en même temps je sens que je
dois écrire, et j’aurais de quoi dire, mais je ne sais plus
comment l’exprimer. Toutefois ne craignez rien, je finirai par
écrire. Je tiens seulement à vous faire savoir que les lignes que
je laisse en blanc, laissez-les bien en blanc, composez-les en blanc : les
lecteurs croiront que la fin de la phrase que je n’ai pas pu achever a
été barrée par la censure. Croyez-moi, ils y imagineront,
connaissant mon esprit enchanteur et mon humour, des pensées
spirituelles justes et excellentes qui en fait ne me viendraient jamais
à l’esprit. Je vous demande une fois de plus de bien veiller
à ce que ma présente lettre explicative ne soit surtout pas
éditée avec l’article. Le mieux serait de la
déchirer sur-le-champ ou de la brûler, parce que, n’est-ce
pas cela me serait trop désagréable. Je reste, Monsieur le
rédacteur, votre humble serviteur et je vous envoie ci-joint
l’article, respectueusement,
Karinthy.)
LA SITUATION.
Oui, bien sûr, la situation ! Je
n’en doute pas, la situation ! Les ergoteurs, les lâches, les
orgueilleux, les défaitistes peuvent expliquer la situation de multiples
façons ; en revanche pour quelqu’un qui raisonne clairement
et simplement, pour lui il est évident, n’est-ce pas, que le seul
point de vue qui permette de comprendre le tout, qui soit la clé de la
situation, n’est autre, n’est-ce pas, que
!! J’ai
moi-même beaucoup réfléchi à cette solution, et
c’est de façon inattendue, dans le moment heureux d’un
éclair d’inspiration que j’ai trouvé la solution
ci-dessus qui, je peux le dire sans fausse modestie, est propre à
allumer une lumière dans l’obscurité. Après cela qui
oserait encore douter que le plus intelligent que nous puissions faire est
tion ! Oh, que
cette pensée est belle, enthousiasmante, rassurante ! Je sens
qu’ayant trouvé un tel point hors des événements,
nous pouvons regarder l’avenir avec une âme plus forte et plus
confiante, cet avenir qui devient désormais clair et simple, puisque
rien d’autre ne peut en découler, rien de différent ne peut
en découler, plus rien ne peut en découler, sinon
ctrice et encore et toujours
ainsi !!... Si bien que dorénavant c’est le cœur
léger et ragaillardi que nous pouvons regarder vers
: notre esprit, notre vision, notre arme
spirituelle recouvrent leur ancienne souplesse, leur force ; nos yeux se
mettent à briller, de nouveau nous nous intéressons à tout
ce qui est inventivité, idée, distinction raffinée. Il me
revient à l’esprit une charmante remarque originale, vraiment bien
trouvée d’un de mes amis – il serait immodeste de ma part de
le nommer – une idée avec laquelle, bien que sous forme de blague
qui fait rire, mais avec une spiritualité fondamentalement profonde et
éclairante, il explique cette question, on peut en rire, on peut en
rigoler même, je vous l’affirme, de cette remarque, mais pendant
que nous rions, nous ressentons le sens profond de sa pensée. En effet,
mon ami a affirmé un jour qu’il me voyait assis tout seul, que la
guerre
lement !... C’est raffiné,
n’est-ce pas ? Et qui plus est, dans sa forme bien trouvée
réside aussi un certain charme léger et original. Et ce
n’est pas pour me vanter de ma familiarité avec la
littérature, mais c’est seulement parce que je ne pourrais pas
trouver une citation plus surprenante et plus inattendue, applicable à
ce cas concret, que je cite ce passage d’un volume peu connu du
grand
:
« Si
grâce à
tous les
millepertuis !
vec le senti
… »
Ce qui est beau, non seulement parce que
vrai, mais vrai aussi parce que beau (si ma traduction improvisée
à la hâte a un sens, celui-ci réside dans le seul fait que
j’ai réussi à trouver une si belle rime au mot
millepertuis).
Mais il y a quelque chose de vraiment
admirable, de vraiment harmonieux, de vraiment céleste, et j’irais
jusqu’à dire, quelque chose de vraiment
en ce que
aussi. Dans de tels moments
d’élévation on sent que non seulement on a le droit, mais
on a le devoir de parler avec
emphase, les mots auxquels des ailes ont poussé exigent
spontanément qu’on les mette dans des formes nobles, et notre âme
crie dans un enchantement vers les cimes lointaines : « Si
rité ! »
Cela, je le sens, devrait suffire ; mais pour que cette atmosphère
supérieure ne se dissipe pas sans laisser de trace, concluons notre
article de ce jour par une chute – allons plus loin que nous n’aurions
dû – et mettons dans le mille avec ce point inattendu que
ouvent ! Amen.
Az Újság,
27 mai 1915.