Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
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Très
respectée révolution russe,
Dans ce qui suit j’ai l’honneur
de mettre quelques modestes propositions de loi sur la table de
Le docteur Révolution, lui, comme
vous voulez bien vous en souvenir, a fait plusieurs fois apparition au chevet
du malade ces quelques derniers siècles – et s’il n’a pas pu obtenir une
guérison radicale, il a pu obtenir parfois des soulagements éphémères, c’est
une preuve triste s’il en fallait une que le moment est venu de l’appeler
d’urgence.
Ils l’ont appelé et il est
venu ; toutefois il ne serait pas inutile de l’avertir qu’il devrait agir
différemment cette fois, car la dernière ordonnance est restée sans
effet : le malade a fait une rechute et il va encore plus mal. Il est
évident que la prochaine révolution devra être différente des anciennes –
puisqu’il faudra justement qu’elle fasse ce que les autres ont raté :
rendre inutiles les révolutions, à l’instar du vrai médecin qui, ayant guéri le
patient, se rend inutile.
Il faut donc procéder autrement,
ô Révolution – l’inverse de ce qu’on a fait jusqu’ici. Dans ce qui suit je
résume ainsi mes propositions :
1. À la première séance de
2. Les révolutions
précédentes ont généralement favorisé de grandes productions d’orateurs,
l’épanouissement rhétorique florissait dans les parlements, naissaient des
slogans et des petites phrases éternelles. La seule chose qui n’est pas née est
celle dont il s’agissait : la liberté. Bien au contraire – tous ces
discours symboliques sont devenus la litière d’ambiguïtés et de malentendus,
les slogans se sont usés et tout a mal tourné. Je propose donc :
3. Que soit privé de sa
fonction et soit sur le champ chassé du parlement tout député ou homme d’État
qui, en parlant de choses ou d’état de choses réelles, autrement dit de sujets
concernant l’intérêt de la nation, utilise des expressions symboliques ou des
métaphores telles que « notre sein à tous brûle de désir ». L’homme
d’État ne peut s’exprimer qu’en substantifs concrets et en épithètes
caractérisant lesdits substantifs concrets, résumant son sujet en propositions
principales et attestant autant que faire se peut chacune de ses affirmations
avec des chiffres. Le parler imagé n’est autorisé qu’à l’usage exclusif des
poètes pour l’ornement de leurs poésies dans la mesure où le risque qu’un homme
ordinaire prenne pour argent comptant l’expression imagée et que des
complications s’ensuivent est extrêmement réduit.
4. Doit être puni de la
peine capitale le député ou l’homme d’État qui, en parlant de choses et d’états
de choses effectives et réelles, donc de sujets qui peuvent avoir des
conséquences positives, ose utiliser un pronom personnel à la première personne
du pluriel, sans que le pronom de la première personne du singulier
objectivement inclus dans le pronom de la première personne du pluriel concerne
effectivement l’action couverte par le verbe de l’affirmation. Par exemple si
un homme d’État dit : « nous donnons volontiers notre sang »
sans que, au moment où il le dit, il saigne effectivement, ou encore
« nous préférons endurer toutes les souffrances », sans qu’il
n’endure aucune souffrance au moment et sur les lieux où il parle.
5. La Douma doit décider de
cesser de palabrer et se consacrer dans l’avenir à l’action.
Pesti Napló, le 18 mars 1917.