Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Épigraphe : Je fais la paix avec quelqu’un,
ou quelqu’un avec moi,
sacré nom d’un chien !
Mais zut alors, ce n’est vraiment plus
une plaisanterie, saperlipopette – vertubleu ! C’est la paix enfin ou
quoi ? Celui qui en débat encore et qui a des doutes après tout ce qui se
passe partout en Europe, est vraiment un salopard digne d’être abattu, mais moi
je n’hésite pas, je l’assomme où je le trouve, dans l’humeur de paix you-hou où je me trouve, tralala-la-lère.
À bas les minables pessimistes ! À bas les sceptiques ! Vive la
paix ! Derrière moi, les pacifistes ! Derrière moi, les
pacifistes ! Assommez-le !
Au demeurant, aujourd’hui nos
télégrammes de paix sont les suivants :
Petrograd
À la nouvelle de la paix
Petrograd est prise d’une frénésie gigantesque. La proclamation de Lénine dans
laquelle il invite les citoyens de l’Europe à mettre fin à la boucherie et à
assommer tout le monde, les Bolcheviks l’ont saluée d’une ovation à décrocher
le firmament. Ils ont assassiné quatre
mille Mencheviks. La ville pavoise.
Moscou
On nous annonce de
Stockholm : l’enthousiasme est à son comble sur le front russe. Les
généraux qui étaient réticents pour exécuter l’appel de Lénine d’entamer les
négociations de paix, ont été arrêtés pour la plupart. Les troupes du parti
bolchevik ont immédiatement assailli les troupes indociles et les ont repoussées dans leurs positions
initiales sous un feu nourri. Des
milliers de cadavres jonchent les lieux du combat. L’issue de la bataille
est encore incertaine.
Londres
On pense savoir que le manifeste
de Lénine dans lequel il invite le Japon à entamer sans délai avec
Paris
Les nouvelles les plus
contradictoires parviennent du front russe. La confrontation des partisans de
la paix avec les troupes du parti des cadets paraît inévitable. Tout le monde
parle de la dernière proclamation de Lénine dans laquelle il intime les états
alliés de reconnaître dans les vingt-quatre heures que le bourgeon couvert de
rosée de la compréhension mutuelle au plus profond du sacré de l’âme humaine
vaut plus que la vipère empoisonnée de la haine. Trotski menace qu’au cas où
l’Angleterre ne le reconnaîtrait pas d’ici à mardi, le caporal Krylenko comparera l’Entente tout entière à un lynx
sanguinaire.
Stockholm
Les plus virulents combats de rue
se sont produits hier à Moscou. Les nouvelles parvenues du front selon lesquelles
deux généraux auraient refusé l’appel de Lénine à faire immédiatement la paix,
ont fait grand bruit à Pékin. La vie de personne n’est plus sûre. Trotski a
appelé les simples soldats à tourner immédiatement à gauche, Kaledine les a appelés à tourner immédiatement à droite.
Prague
Lénine a rétabli la peine de mort
à l’égard des soldats qui désobéiraient à l’appel de déposer leurs armes. Duchonine a ordonné sous peine de peine de mort de ramasser
les armes.
Christiania
D’épouvantables batailles se sont
produites hier Ici. Douze hommes ont été assommés parce qu’ils ne voulaient pas
croire que c’était la paix.
Moscou
La proclamation de Lénine dans
laquelle il invite les empires centraux à faire immédiatement la paix avec
l’Angleterre, est parvenue ici aujourd’hui.
Bruxelles
Selon une annonce officielle,
Lénine prépare un ultimatum donnant à l’Angleterre deux jours de délai
supplémentaires pour faire la paix avec l’Allemagne. Il convient de s’attendre
à d’énormes mouvements de troupes sur le front de Riga.
Paris
Étant donné que l’Angleterre n’a
pas répondu à la dernière note de Lénine,
Berlin
De Paris : la déclaration
russe de guerre est arrivée ici. Bagarres à la frontière. Deux bataillons se
sont rendus.
Madrid
Communiqué du centre de presse du
quartier général : la bataille de Petrograd bat son plein. Les Français
ont perdu six mille hommes. Douze mille Japonais prisonniers. Très gros butin.
Londres
Lloyd George a déclaré à
Petrograd
Le journal de Gorki adresse un
manifeste à l’humanité dans lequel il l’invite à mettre fin à cette boucherie,
à rétablir les fronts et à reprendre la guerre sans délai.
Maintenant
qu’on risque la mort
Est
un vaurien celui qui plie,
Plus
soucieux de son pauvre sort
Que
de l’humanité paisible. [1]
et à mettre fin à
la boucherie, pour qu’il n’y ait plus de sang qui coule, amen !
Pesti Napló, le 2 décembre 1917.