Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

afficher le texte en hongrois

notre villÉgiature

EEt mon épouse dit dans un flot de larmes :

- C’est ce que j’ai mérité, moi, cette vie-là ? C’est bien fait pour moi, j’aurais dû réfléchir. Les Mácsik sont déjà sur la Riviera, les Durcsák sont montés en auto dans les Dolomites, les Krecsmerik passent des vacances à Grenoble, les Rocspolics au moins à Baden – il n’y a que moi qui suis clouée à Pest comme une bonne esseulée que ses patrons n’ont pas emmenée en vacances avec eux. Le monde est plein de beautés et de merveilles, tout impertinent a droit à son été, dit le poète, il n’y a que moi qui croupis misérablement dans ce coin désert où un honnête homme n’ose pas mettre le nez dehors car il a honte de se trouver encore chez lui… Je viens de lire une description de la vallée de l’Engadine[1], l’endroit le plus beau, le plus merveilleux du monde, même le prospectus l’affirme, pourtant ce n’est vraiment pas son intérêt… La société la plus raffinée s’y retrouve… Ce célèbre écrivain, Fraccaroli y réside aussi avec sa femme, on pourrait faire leur connaissance… On dit que rien ne vaut cet endroit… Quels bosquets, quelle piscine et quelle plage… Mais moi je pourris ici au milieu des prolétaires. À Budapest, oui, simplement parce que mon époux n’a pas daigné songer en hiver à m’emmener à Engadin en été.

Et Madame Fraccaroli dit à son époux dans un flot de larmes :

- C’est ce que j’ai mérité, moi, cette vie-là… C’est bien fait pour moi, j’aurais dû réfléchir !... Les Boudet sont depuis longtemps à Nice, les Courtevoisier à Hollywood, les Lebidois à Viareggio – il n’y a que moi qui croupis ici à Engadin comme une fermière clouée à sa terre dont le mari est invalide de misère. Le monde est plein de beautés et de merveilles, de panorama et d’exotisme – et moi je flétris ici dans ce bled pourri et perdu derrière le dos du Seigneur, au milieu de la forêt… Je viens de lire une description de Budapest, la capitale hongroise…La ville pleine de merveilles, regarde ici ces photos… Quelles vues sur le Danube !... Et ces ponts !... Partout des bains et des piscines et des sources naturelles d’eau chaude… Et une île splendide sur le Danube… Regarde cette image… Et c’est là que passe l’été ce célèbre écrivain avec sa femme…Il n’y a que moi qui pourris ici au milieu des paysans parce que mon époux n’a pas daigné songer en hiver à m’emmener à Budapest en été.

 

Bács-megyei Napló, 23 juillet 1926.

Article suivant paru dans Bacs-Megyei Napló



[1] Vallée des Alpes suisses dans la région de Saint-Moritz.