Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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RENSEIGNEMENT

14-renseignement lai demandé un  renseignement par courrier à quelqu’un, et en cas de réponse favorable on pourrait entamer une affaire commerciale.

La personne à qui j’ai demandé ce renseignement, Monsieur Bée, je le connais à peine, tout ce que je sais c’est qu’il connaît très bien Monsieur A, la personne sur laquelle je veux me renseigner.

Monsieur Bée m’a répondu avec courtoisie et, faisant appel à ma discrétion, il m’a révélé franchement que Monsieur A est généralement un parti fiable, sous réserve de faire attention qu’il ne prenne jamais l’initiative, car ses capacités intellectuelles sont limitées, ce qui ne serait pas trop grave s’il s’agissait d’un homme modeste, mais il est très imbu de lui-même.

Cet avis trop élaboré m’a paru suspect. J’ai donc écrit une lettre à Monsieur C, un proche ami de Monsieur Bée, et je lui ai demandé des informations sur ce qu’il pense de Monsieur Bée, c’est-à-dire si d’après lui on pouvait de fier au jugement émis par Monsieur Bée quant à la connaissance des caractères.

Monsieur C m’a répondu par retour de courrier et, illustrant par des cas précis, il a affirmé qu’en effet, Monsieur Bée est certainement un gentleman, il n’a qu’un seul défaut : il voit et analyse tout le monde à travers sa propre vanité. Tous ceux qui le flattent sont à ses yeux des hommes excellents, et ceux qui sont sincères sont tous des ânes bâtés. Ainsi par exemple, ces derniers temps il s’est mis en tête de dire du mal de Monsieur A qui serait un imbécile, simplement parce qu’un jour il lui a dit sa vérité en face ; pourtant quelle différence entre lui et Monsieur A… !

Le cas a commencé franchement à m’intriguer. Au club j’ai pris Monsieur D à part ; il était pendant de longues années le supérieur de Monsieur C et je lui ai demandé de me décrire franchement le caractère de ce dernier, car j’avais besoin de savoir si je pouvais prendre ce qu’il disait au sérieux. Monsieur D a paru disposé à me renseigner et m’a rassuré : au cas où c’est en affaires que j’avais besoin de C, il garantissait que celui-ci ne me tromperait pas ; mais pour l’amour de Dieu, je ne devais pas me fier à ce qu’il raconte, car chacun sait qu’il ment comme il respire.

Nous en sommes là, et maintenant je devrais savoir ce que je dois penser de Monsieur A. Mais avant de formuler un avis sur les rapports à établir avec lui, je vais en tout cas écrire une lettre anonyme à un de mes bons amis, en lui demandant de m’écrire en urgence poste restante quel homme il voit en moi et si je peux me fier à mon opinion.

 

Pesti Napló, 3 avril 1930.

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