Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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MES FUNÉRAILLES

Ni fleurs ni couronnes.

Par contre on peut garder les autres accessoires.

Compte tenu de l’affluence, la tribune à dresser directement au bord de la tombe ne pouvant accueillir que mille personnes, il faudra limiter les invitations.

L’intéressante conférence sera introduite par un bref numéro musical, retransmis à la Radio, par des haut-parleurs de qualité.

Ensuite, sur des tréteaux dressés derrière la tombe, les artistes les mieux côtés du pays présenteront quelques extraits de mes modestes œuvres. Excitation et chuchotements dans le public : chacun ignore quelle est la vocation de ce drap blanc, haut de trois mètres et large de deux, monté au milieu de l’estrade, sous le toit de la tribune officielle.

Alors s’approche un avion drapé de noir, il apporte mon cercueil. Il décrit plusieurs cercles au-dessus du rassemblement solennel. Puis il descend au-dessus de la fosse, un mécanisme automatique dépose son chargement, tel un grand oiseau déposant l’œuf de la génération suivante. Il couve quelques minutes au-dessus du cercueil, puis il s’envole.

Alors on donne l’absoute, suivent les discours funéraires officiels.

Mes mortellement bons amis et mes ennemis les plus chers montent tour à tour à la tribune – ceux-ci changeront de sentiment à mon égard grâce à ma générosité de leur donner l’opportunité de s’exprimer.

Bref, quantité de discours et d’hommages. Pourquoi nous as-tu abandonnés, et autres semblables.

Et alors viendra le numéro le plus intéressant des solennités.

À l’issue des discours, l’écran blanc s’illuminera et j’apparaîtrai en personne, en couleur et en relief, vivant, je me prosternerai gentiment devant l’enthousiasme des applaudissements. Puis je me mettrai à parler d’une voix claire (Western-Electric !).

J’exprimerai mes remerciements pour les paroles aimables. Je soulignerai particulièrement certaines d’entre elles, j’y répondrai. (Ce n’est pas sorcier, puisqu’il suffit de si peu d’imagination pour savoir à l’avance, au moment du tournage, ce qu’ils diront.) C’est à un seul ami, celui qui m’aura posé la question : pourquoi es-tu parti ? Que je donnerai une réponse un peu rude : pourquoi n’es-tu pas parti à ma place ? Quelqu’un devait bien commencer. (Rires.)

 

Je demande aux critiques de ne pas disséquer mes écrits.

On va bien s’amuser.

D’ores et déjà je prie mes lecteurs que, dans la mesure où ils souhaitent se procurer quelques-unes des places en nombre limité, ils ne manquent pas de réserver suffisamment w.

Prière de me régler les réservations à l’avance.

Si je n’encaisse pas un montant suffisant, les festivités seront annulées – moi j’ai des frais préalables pour l’organisation de mes funérailles ; pour mes funérailles il ne m’est pas possible d’emprunter.

Je n’aurais pas de quoi mourir dans les difficiles conditions actuelles.

 

Pesti Napló, 20 mai 1930.

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