Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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MOTS CROISÉS SUR LE MUR

52 - mots-croises lmage des temps.

Devant le bâtiment administratif, sur un tableau mural, sous les "dernières nouvelles", un exemplaire du Pesti Napló, collé page par page.

Tu ne peux pas passer devant sans croiser quelque badaud, debout devant les feuilles du journal, et lisant attentivement les nouvelles, bulletins et articles, avec sérieux – ils les lisent du début à la fin, et quand une page est terminée, comme il n’est pas possible de retourner le mur, ils se déplacent devant l’autre tableau où on peut lire la suite.

Le jour où j’ai vu pour la première fois ce genre de journal affiché au mur, je croyais qu’il était là à des fins purement publicitaires. Plus tard j’ai compris que ce service populaire "dans la rue" a une importance plus profonde, caritative.

Il existe apparemment un public lecteur pour qui la lecture quotidienne du journal est rendue difficile par un obstacle de principe : même le journal le moins cher coûte au moins dix fillérs.

Ces murs-là constituent un chauffage gratuit de l’âme, un asile pour les sans domicile fixe de l’esprit, un bain public d’accès libre, des lettres à discrétion.

Je passais récemment devant le bâtiment tôt le matin. Et alors, quand j’ai jeté un regard distrait au mur, quelque chose de bizarre a attiré mon attention.

Sur une des pages affichées, une grille à cases blanches et noires : des MOTS CROISÉS.

Mais cette grille « était remplie.

Remplie, dans les règles de l’art, au crayon, pourtant ce n’était pas un casse-tête facile, je l’ai fait chez moi, ça m’a pris une heure et demie.

Celui qui l’a remplie a dû rester ici, debout, une heure et demie, forcément la nuit, quand personne ne le dérangeait. Il avait du temps, il en avait envie – manifestement il n’était pas poussé par la contrainte intérieure de devoir rentrer à la maison, n’ayant pas de chez-lui, ne cherchait pas non plus la facilité de le faire confortablement dans un café n’ayant pas d’argent pour cela. Au demeurant il devait avoir une culture solide, personnellement j’ai utilisé plusieurs dictionnaires, or ici je n’ai aperçu aucune rature. Un diplômé des universités.

Un parent, non en âme, seulement en destin, de ces deux soldats gardiens des premiers MOTS CROISÉS, voilà deux mille ans, à soixante-dix ans près, toute une nuit de décembre – les premiers sur lesquels on pouvait lire horizontalement quatre lettres mystérieuses : I.N.R.I.

 

Az Est, 3 septembre 1930.

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