Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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LE MONT GELLÉRT

67-le Mont Gellért le suis un adepte enthousiaste de l’embellissement de la ville, de l’urbanisme. Non mais des fois. Il m’arrive de voir en rêve des gratte-ciel couverts de lierre avec des géraniums aux fenêtres, un sapin de Noël sur les tours – des écoles faites en pain d’épice et un bureau des impôts tournant sur une patte de canard.

Mais ce qu’on peut vouloir tout le temps au Mont Gellért, ça, je ne le comprends pas. Ce n’est plus de l’esthétique – c’est de…, comment dire, c’est du travail d’esthéticien urbain, avec les cérémonies extravagantes des opérations cosmétiques.

Je ne demande même plus ce que ça va être, ce qu’on prépare, à quelle surprise nous pouvons nous attendre, une fois qu’ils auront terminé – je me demande seulement quand ils arrêteront les préparatifs.

Je ne parle ni de la statue, ni de la chapelle, ni de la citadelle illuminée, ce sont autant de choses splendides, elles font partie de l’ensemble, on ne pourrait plus imaginer le Mont sans elles. Mais à quoi bon le reste ?

La génération actuelle n’a pas pu voir le Mont Gellért dans son état normal. Il y a toujours devant lui, sur lui, autour de lui, à côté de lui des échafaudages, des machines, des installations provisoires pour des travaux de rénovation, de perçage ou de rabotage. Parfois on construit une tour inattendue à ses côtés, en planches sur toute la hauteur. Tu devines un pont fantastique, un ascenseur, un tunnel, pour entourer, transpercer, déplacer. Puis brusquement on démonte la tour, on commence à forer des trous alignés, dans la paroi rocheuse. Puis on peint les rochers en couleurs, l’un en rouge, l’autre en noir. Ensuite, tout à coup on commence à les poncer, les polir, les passer à l’émeri.

Puis arrivent des bâches, on cache les montées derrière des palissades en bois comme si on préparait une inauguration. Puis, aussi brusquement qu’ils sont venus, tout le monde disparaît et il apparaît qu’il ne s’est rien passé derrière.

Qu’est-ce que c’est, un jeu ou une maladie ?

C’est un bouton douloureux, un furoncle, ou une tache enflammée, notre capitale bien aimée traite, gratte, badigeonne et tord le point culminant de son corps – elle pose dessus un cataplasme froid, puis chaud, elle le touille, le tiraille, le pétrit, comme un sale garnement son nez et ses oreilles. Comme n’étant pas tranquille avant de l’avoir démonté.

Il serait judicieux de recouvrir le tout d’une cloche en verre ou d’une grille comme celle qui couvre le plateau à fromage, pour qu’on ne puisse pas y toucher.

Qu’on lui fiche la paix, à ce pauvre Mont Gellért !

 

Az Est, 26 octobre 1930.

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