Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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VA-T'EN, OISEAU !

Va-t’en, oiseau, poursuis ton vol !

Fier oiseau, oiseau-homme, gloire de notre existence terrestre, papillon issu du cocon du ver humain, trente mille ans chrysalide – phénix sorti de l’œuf du griffon du génie humain, dieu jailli du cerveau humain, ange ailé – poursuis ton vol, cette terre n’est pas encore assez mûre pour toi, patiente encore trente mille ans, vole d’ici là jusqu’aux étoiles, demeure dans la nébuleuse de planètes inhabitées par l’homme, accompagne la comète sur son parcours et reviens avec elle un jour…

Un jour, dans trente mille ans, quand cela sera enfin possible…

Quand il ne pourra plus t’arriver ce qui vient de t’arriver : je lis ici, de mes propres yeux, vous pouvez le lire aussi, c’est imprimé ici, dans le numéro de Az Est de ce soir, quand je l’ouvre.

Communiqué de Melbourne.

Un membre d’une tribu canaque polynésienne nous informe sur le sort du pilote anglais disparu il y a deux mois.

Ce pilote a exécuté un atterrissage forcé à la limite de leur village.

Dès qu’il eut touché le sol, les indigènes l’ont assailli, l’ont assommé et l’ont mangé.

Ils l’ont mangé, vous comprenez ? Ils l’ont dévoré !

Mais pour l’amour de Dieu, pourquoi ne l’auraient-ils pas mangé, quand j’y pense ?!

Même si l’on suppose que les missionnaires leur ont déjà appris qu’il n’est pas convenable de manger de l’homme et que d’ailleurs c’est malsain.

D’où diable devraient-ils savoir, ces êtres archaïques et frustes, que le pilote était un homme ?

Dans le meilleur cas ils l’ont pris pour une grosse foulque bien grasse, une chauve-souris ou une tortue volante, avec le couvercle en dur dont il avait fallu l’extraire.

Dans le pire cas ils l’ont pris pour un dieu.

Ils ont agi de bonne foi.

Il est permis de manger des oiseaux. Admettons qu’il ne soit pas permis de manger de l’homme. Mais un dieu ?

Ce genre de chose compte pour une cérémonie religieuse – chez eux, chez eux uniquement – dans l’année mille neuf cent trente et un du Seigneur.

 

Pesti Napló, le 9 juillet 1931.

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