Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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École des wouahteurs

Pour les non avertis :

Wouahter, onomatopée construite sur la syllabe wouah prononcée avec une certaine emphase, accompagnée d’un hochement de tête exalté, dans le but d’exprimer notre admiration des mots ou des actes de quelqu’un (généralement un supérieur ou une autre personne que nous avons intérêt à flatter).

Cela n’est évidemment qu’une définition de la notion. Car le wouahtage n’est pas un métier simple – c’est aussi un art, cela nécessite un état d’esprit, une habileté appliquée, une connaissance approfondie de la vie sociale et intérieure, de la vanité cachée de la personne, objet du wouahtage. Les gens en vue baignent dans toutes sortes de marinades, sont riches d’expériences – un compliment simpliste et balourd peut facilement se retourner contre son auteur. D’autre part il faut savoir que plus intelligent et rusé on est, plus naïvement on tombe dans le panneau de l’exagération la plus absurde, si elle est flatteuse – et le principal est que généralement nous n’attachons pas beaucoup d’importance à nos vertus réelles, mais nous sommes d’autant plus sensibles à celles dont nous sommes dépourvus. Si un homme est beau mais stupide, il convient de louanger son intelligence, mais s’il est laid et intelligent, alors sa beauté.

Il convient de connaître les points faibles, les talons d’Achille. Pas le trait de qualité où la personne excelle, mais celui où sa rabbinité aimerait exceller (il faut savoir qu’à l’origine du wouahtage il y a une blague de rabbin dans laquelle un plouc admire le rabbin miraculeux qui voit jusqu’à Tchernovitz – bien que Tchernovitz ne fût pas en feu comme il le prétendait, mais quelle vision il avait !).

Donc :

Un menteur, il faut le croire sans réserve – un homme au franc-parler sans gêne, tu loueras sa ruse.

Si tu discutes avec un professeur en médecine, émerveille-toi de ses compétences musicales et littéraires – quelle chance pour Móricz et Dohnányi[1] de ne pas avoir choisi ce métier, ils auraient bonne mine.

Tu wouahtes le mieux un comédien, si tu le louanges.

Une actrice, si tu dis du mal d’autres actrices.

Un joueur de cartes du dimanche, admire sa chance, son instinct pour trouver la bonne carte.

Un joueur de cartes invétéré aime bien que tu hoches la tête pendant des heures et t’attristes avec lui de sa malchance.

Un homme politique, ne lui évoque jamais son appartenance partisane – lui, il a une conception toute particulière selon laquelle en réalité on devrait former un gouvernement, et enfin :

Un rédacteur, ne lui propose jamais ton magnifique sujet – attends qu’il avance une ânerie que d’après lui tu devrais écrire – alors tombe des nues d’admiration devant sa mirobolante idée qui ne te serait jamais venue à l’esprit, et qui te permettra certainement de publier le meilleur papier de ta vie.

Pro domo : Cher Monsieur le Rédacteur, je vous remets ci-dessous le papier qui vous donnera, j’espère, pleine satisfaction – merci de m’avoir refilé ce sujet dont je vous ai tout de suite dit qu’il volait très haut…

Zz, zz, zz, zz… !

 

Pesti Napló, 27 mars 1932.

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[1] Zsigmond Móricz (1879-1942). Ernő Dohnányi (1877-1960). Le premier, romancier, le second, compositeur.