Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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jardin d’Éden À berlin

Le zoo de Berlin, affirment mes connaissances, a inventé un loisir charmant pour amuser les visiteurs. Sur une aire de jeux clôturée ils libèrent les nouveau-nés du zoo, de la classe d’âge de moins d’un an, indépendamment du genre, de la race, de la situation financière, de l’orientation politique, et le principal : indépendamment de la vision du monde pacifiste ou guerrière. Donc des lionceaux et des éléphanteaux, des bébés hyènes, des bébés crocodiles et des bébés zèbres en tas.

Et pour que la jungle de Kipling soit complète, la direction lâche des petits Mowgli dans ce paradis improvisé, ce que permet l’innocence enfantine – les bébés hommes de moins de six ans disposent d’une libre entrée sur cette aire de jeux, ils peuvent se mêler et se battre du matin jusqu’au soir avec les bébés bêtes sauvages conviés de tous les coins du monde.

Vous pouvez imaginer le succès.

J’envie les enfants berlinois.

Et je loue l’intelligence de la direction qui a permis de dresser cet œuf de Colomb.

Une éducation saine, éclairée, moderne. Une coéducation idéale, un progrès immense par rapport à notre enfance, dont la pédagogie avait séparé même les deux genres de la même espèce, à table, sur les bancs de l’école et aux baignades estivales.

Ces enfants deviendront des hommes.

Ils apprennent tôt, en jouant, tout un tas de règles pratiques dont le manque a été pour nous la cause d’expériences amères, trop tard, quand on ne pouvait plus y remédier.

Ces nouveaux enfants souriront aux fables naïves d’Ésope et de La Fontaine. Ils apprennent la ruse de compère le renard, la conception réactionnaire du méchant loup sur la question ovine, par le contact direct.

Ils acquerront un avantage. C’est vraisemblablement l’enfant homme qui sortira vainqueur de ces copinages – mais il ne faut pas oublier les connaissances utiles : écoutez, ça ne peut pas faire de mal de se mettre en bons termes avec certains petits veaux qui deviendront un jour des grands bœufs.

Pourvu qu’on ne les gâte pas.

Autant que je connaisse ces enfants berlinois tôt éclairés et élevés avec objectivité, ils sont capables de révéler aux cigogneaux que ce n’est pas une dame humaine qui les apporte.

 

Az Est, 10 juillet 1932.

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