Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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zone tempÉrÉe

Description : Description : Description : C:\la tour\DOSSIER ZUT\FRIGYES\Site KF\Fonds d'écran\1935 fonds\Zone tempérée l.jpgieu merci, le beau temps est revenu. On peut respirer enfin.

Si je dis Dieu merci, c’est parce qu’avant-hier mes dents claquaient en gare de Göd.

C’est une chose magnifique à laquelle nous participons ici, au bord de la Grande Plaine.

Comptons un peu.

La température de notre corps est de trente-sept degrés, ni plus ni moins.

Nous baladons nos trente-sept degrés, mine de rien, dans des milieux variés.

En hiver il fait en moyenne moins quinze à moins vingt.

En été il fait en moyenne plus trente à trente-cinq.

Mais à Kecskemét il y a quelques années j’ai vu de mes propres yeux trente et un degrés sous zéro, et chacun se souvient de la gentille canicule de trente-neuf degrés en juillet dernier.

L’écart entre les deux, arrondi, est de soixante-dix degrés.

Nous, heureux Européens, nous sommes exposés à cette bagatelle de fluctuation des températures.

Je me rappelle, un soir une banque a remporté dix-huit coups de suite. Nous, héros malheureux, restions figés autour de la table, la parole nous restait dans la gorge, on pouvait entendre une mouche voler, les dernières pièces de petite monnaie roulaient sur le tapis.

C’est dans ce silence mortel que s’est mis à parler Palásthy d’une voie sépulcrale comme le destin :

- Et c’est ce qu’on appelle jeu de hasard.

Et je soupire avec lui quand, depuis quelques jours, tantôt ma sueur coule à flots, même tout nu, tantôt mes orteils gèlent dans mes souliers à doubles semelles.

- Et c’est ce qu’on appelle zone tempérée.

 

Az Est, 15 août 1935.

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