Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
les chiffres de ma vie
on premier souvenir, en
réalité, ne date pas de quarante-cinq ans comme les dates le
voudraient, mais de cent mille ans.
Je me rappelle avec précision
l’instant où de quatre pattes, je me suis dressé sur deux
pattes.
J’ai mangé mon premier abricot
à trois ans.
C’est à quatre ans que
j’ai appris à nager. Flotter en trois dimensions a fait sur moi
une grandiose impression. Je crois que c’est à ce moment-là
que m’est venu le désir de voler, et je suis persuadé que
cette date coïncide avec l’ère où mon espèce,
l’homme, a également ressenti le besoin de se rajouter
artificiellement des ailes.
C’est à six ans que j’ai
commencé à réfléchir. J’ai fait depuis de
nombreuses petites découvertes dont je ne peux pas pour l’instant
parler à mon espèce encore mineure, je peux tout au plus
m’adresser à elle dans un langage que l’on utilise avec les
élèves des écoles élémentaires. Je me suis
efforcé de lui parler sur un ton qui lui convienne. C’est la raison
pour laquelle en ma qualité dite d’écrivain je n’ai
pas développé un style personnel. En écrivant je ne pense
pas à moi, je dois penser en permanence à ceux à qui je
m’adresse.
Je sais bien que je ne suis pas le seul. Il
y a beaucoup d’autres au monde qui, sinon consciemment, en sont grosso
modo au même point que moi. Ceux-là comprennent bien de quoi il
s’agit. Inutile de leur expliquer.
J’ai rencontré un grand nombre
d’hommes aimables. Personnellement ou par écrit. Leur
compréhension et leur affection représentent pour moi beaucoup de
souvenirs agréables.
Le premier cadavre que j’ai vu
était celui de ma mère.
La première femme que j’ai
aimée était ma femme qui maintenant est également morte.
Le bonheur enivrant de la poésie, je
l’ai connu à douze ans.
À dix-huit ans, celui de la science.
À l’âge de vingt ans
j’ai connu l’ivresse de l’eau-de-vie d’abricot.
J’aime beaucoup en outre le poulet au
paprika et les gnocchis au fromage de brebis. C’est à vingt-cinq
ans que je suis pour la première fois devenu père – mais on
m’avait appris à tuer déjà plus tôt,
systématiquement, pendant deux mois de formation. Je n’ai pas
encore utilisé dans la pratique
cette connaissance.
Une femme inconnue m’a giflé
il y a quinze ans, par erreur.
J’ai trouvé la vie des
termites et des guêpes très intéressante, et voici quatre
ans j’ai passé une nuit d’orage à bord du Zeppelin.
Trois fois je me suis trouvé en
danger de mort. J’ai compris qu’il ne faut pas avoir peur de la
nature, seulement des êtres vivants.
L’année dernière nous
avons eu un très bel automne. En 1931 le thermomètre est descendu
jusqu’à
Színházi Élet, n°
43, 1935.
Article suivant paru
dans Színházi Élet