Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

 

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adaptation littÉraire

 

Monsieur le directeur K. me raconte une histoire charmante. Sa fille fréquente l’école allemande, elle est bonne élève, elle est très active. Au cours d’allemand on leur donne le devoir suivant : vous trouvez dans vos livres de lecture ce gentil conte, une vieille histoire allemande ; veuillez la transcrire en dialogues, avec scénographie, sous forme d’adaptation dramatique. La petite, une enfant d’esprit vif, inspirée par ce devoir, en a taillé un drame en trois actes qui a eu un succès retentissant, des enfants l’ont produit en public, c’est devenu un programme pour des matinées familiales, toujours à l’affiche depuis lors.

L’idée est ravissante d’un point de vue pédagogique. Elle recèle un enseignement digne d’attention, avec indication utilisable aussi dans d’autres domaines. J’ai toujours apprécié les méthodes pédagogiques qui, au lieu de longues explications, attirent l’attention de l’élève sur des faits évidents pourtant peu connus – ce sont ceux-ci que nous oublions le moins, comme cela est prouvé par des formes versifiées, puisqu’à l’origine un poème n’était autre qu’un procédé mnémotechnique. J’imagine qu’avant que se répande l’écriture, cette fixation généralisée des pensées et des connaissances, la poésie était ce véhicule léger qui permettait de graver en mémoire les beautés et les vérités à ne pas oublier.

Le but avoué ou inconscient de ce jeu est de prouver aux élèves une vérité que beaucoup d’esthètes ignorent ou oublient, quand ils répartissent les écrivains dans des catégories : ce ne sont pas les genres qui ont créé les écrivains, mais ce sont les écrivains qui ont créé les genres. Un écrivain ou un poète véritable n’est pas un humoriste ou un versificateur ou un auteur dramatique ou un romancier, il est simplement poète, et ce sont les circonstances et le tempérament qui déterminent dans quel genre il se place le plus confortablement. Le fait que souvent les écrivains eux-mêmes ignorent cela, et sous l’effet d’un succès s’imaginent spécialistes, n’y change rien. – Le Faust n’a pas empêché Goethe d’écrire aussi des ouvrages scientifiques. Pas plus que son immense talent et son savoir en arts plastiques n’a retenu Leonardo da Vinci de construire son avion.

Ce jeu des genres (car il reste tout de même un jeu, non à cause des lois de l’écrivain mais à cause des lois spécifiques de l’œuvre, qui déterminent le sujet selon le genre) – ce jeu, non seulement je l’implanterais dans les écoles et les nobles jeux de société, mais je l’élargirais même. Ce sont les contes populaires qui paraissent s’y prêter le mieux, mais je ferais également des expériences avec des créations attachées à des auteurs. Je proposerais dans les écoles ou en société de transformer un conte ou une nouvelle en un drame, poème, esquisse de roman, croquis, film ou essai. Ouvrez la compétition, voyons qui sera maître en "adaptation".

C’est une méthode qui permettrait de remettre la littérature à la mode, tout en mettant en évidence sa relativité.

Que les mots de Lucifer servent de guide : « Ne vois pas de tragédies dans ces choses, mais plutôt ce qu’elles ont de comique, et cela te fera rire ! »[1]

La Thèse à prouver serait à peu près ceci : chaque genre littéraire n’est qu’une diffraction colorée du rayon solaire de la réalité. Les Sept Couleurs en lesquelles je le défais, ce sont les Sept Arts – choisissez à votre guise.

Copyright !

 

Pesti Napló, 25 janvier 1936.

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[1] Du 7e tableau de La Tragédie de l’homme d’Imre Madách. (traduction Jean Rousselot).