Frigyes
Karinthy : "Dictionnaire simplet"
Joueur (-s, -euse, -euses) de cartes
(voir. Carte)
Individus, le plus souvent
de sexe masculin ; apparaissent presque exclusivement en bande, souvent
par groupe de deux. Présence solitaire extrêmement rare. Ils
n’exercent cette activité ni dans le cadre de leur profession ni en tant que vocation,
c’est quelque chose d’intermédiaire entre le métier
et le but de leur vie : pas à heures fixes mais de façon
permanente. Ils séjournent la plupart du temps dans les salons
privés de bâtiments publics, mais il existe des
variétés qui se font construire des locaux distincts où il
est possible de les observer en fonctionnement ; signes de
reconnaissance : des cartes qu’ils tiennent dans leurs mains (voir :
carte) ; il ne faut pas les confondre avec les parasites souvent
rencontrés dans leur entourage, appelés "kibbitz"
qui extérieurement, par suite d’une évolution adaptative
(voir : mimétisme) ressemblent quelquefois étrangement aux
J. originaux. Chaque kibbitz est muni de deux mains
et de six pieds : le bas du corps est constitué d’un
appendice en forme de chaise lui assurant une bonne adhérence au sol.
Excepté son visage, tout son corps est recouvert de peau comme celui du
J. original, quelquefois, par
mimétisme, il possède même une fausse bourse. De ses os on
peut faire cuire de la colle ; quelques J. prétendent que sa chair
est savoureuse. Effectivement, les J. (cf. cannibale) s’en nourrissent
souvent : le J. mord au nez ou à l’oreille le kibbitz assis à ses côtés, après
certaines levées, tout en émettant le son
« raté, raté ! ».
L’observateur
attentif et impartial distingue à première vue deux
catégories de J. : l’un agit vite et fiévreusement,
l’autre de manière plus pondérée. Le premier, dans
son expression évoque fortement un visage humain affichant de
Le
langage des J. n’est pas encore très évolué :
ils ne possèdent aucun substantif, ils ne savent utiliser leurs
adjectifs qu’appliqués à la deuxième personne, ils
ne connaissent que le superlatif. Ils portent leurs émotions à la
connaissance de l’autre par interjections. Ils ne conjuguent pas les
verbes. Ils utilisent des adverbes de lieu uniquement dans la mesure où
ces derniers désignent des parties du corps de l’interlocuteur,
par exemple « que le plus puant des abcès te crève au
cou » ; ils n’utilisent jamais d’adverbe de temps,
autrement dit quand ça crève, ça leur est égal
(voir : crevaison).
Les
J. ne sont pas excessivement dévots, sur le plan moral ce sont
plutôt des adeptes d’un radicalisme extrémiste. Ils
s’intéressent également aux sciences, notamment en physique
à la théorie mécanique des coupes et des plis ;
c’est la géométrie qu’ils préfèrent,
ils construisent patiemment des formes parfaites et quand ils y parviennent ils
hurlent : carré d’as ! Dans les sciences médicales
ils ne soignent pas la quinte, ils la recherchent au contraire ; par
contre ils s’intéressent à ce que cache le jeu tenu par
celui d’en face (cf : radiographie).
Pour le reste,
consultez l’illustration annexée sur laquelle A désigne la tête du J., B désigne
le pied agissant d’un kibbitz, C le ventre de
ce membre, D le pied du J. dont l’empreinte en forme de D est
visible sur le ventre désigné par C.