Frigyes Karinthy :  "Dictionnaire simplet"

 

 

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histoire de la littérature, écrivain, literie, taie d’oreiller

 

Collection de ces cahiers de doléances et de requêtes que des gens mal informés, mécontents de leur condition et mécontents également des conditions existantes, notent et scribouillent comme ça, de façon générale, faute de connaître la bonne porte ou le guichet des autorités compétentes (ministère, direction des chemins de fer, bureau des contributions) où ils devraient déposer leurs plaintes ou leurs réclamations ; ils les ont peut-être d’ailleurs déposées mais les autorités les ont rejetées. Un tel mécontent (un écrivain) porte ensuite son opinion devant le grand public en espérant que quelqu’un le prendra en pitié et l’aidera. Les gens aiment se plaindre sur toutes sortes de sujets, de leurs maladies, de leurs problèmes d’argent, souvent même de choses qui ne regardent les bureaux en aucune façon, ainsi par exemple une personne qui n’obtient pas ce qu’elle veut, ou si une autre personne lui prend ce qu’elle avait, ou encore parce qu’il faut mourir ou parce qu’en hiver il fait très froid. Ils illustrent leurs plaintes d’exemples qui malheureusement sont invérifiables, le bureau des contributions n’en a donc que faire.

La littérature se manifeste sous plusieurs formes dont les plus notables sont les suivantes :

1. Poésie. Rédaction composée par des gens d’ordinaire très jeunes, en partie inexpérimentés qui commencent à dire quelque chose, mais dans la ligne suivante qu’ils écrivent vient brusquement un mot qui se termine comme un autre mot dans la ligne précédente ; alors ils prennent peur de ce qui leur arrive et ils oublient ce qu’ils voulaient dire et ils recommencent une nouvelle ligne au début. Cette façon désordonnée d’écrire, les psychiatres la nomme vers et rime ; la langue hongroise est heureusement si pauvre en rimes qu’on a l’habitude de pardonner même les rimes les plus méchantes, même parricides, autrement dit il nous faut admettre que père et assassin riment ensemble. Ces jeunes gens sont en général avides d’argent et aimeraient s’enrichir, et comme ils savent bien que de nos jours ce sont les inventeurs et les découvreurs qui gagnent le plus, la plupart du temps ils s’occupent d’inventions dans leurs poèmes, mais avec habituellement très peu de résultat. Ce sont de tels découvreurs appelés poètes qui ont par exemple fait la trouvaille que lorsque le soleil se couche il va faire nuit (resté non commercialisable). L’un d’entre eux, après de longues recherches, a découvert que toucher l’orifice supérieur (bouche) du système intestinal d’une jeune fille adéquate avec l’orifice supérieur (bouche) de notre propre système intestinal peut servir à provoquer des sentiments agréables dans certaines circonstances. Il s’est avéré ultérieurement qu’il n’a pas été possible de breveter car d’autres l’avaient trouvé avant lui.

2. Roman. Mode d’expression des plaintes d’écrivains plus mûrs. La plainte peut s’exprimer de deux manières différentes, ou bien l’écrivain écrit comment il aimerait que cela aille pour lui (roman romantique) - dedans il décrit combien cela irait mieux pour lui, par exemple dans un beau château où il y aurait de belles dames et elles deviendraient toutes ses femmes – ou bien il écrit l’état véritable des choses (roman naturaliste) où apparaissent tous les malheurs dont il a souffert, et toutes les vilenies qu’il a toujours pensées. Ce dernier, on le nomme également roman objectif.

3. Drame (D.). L’écrivain un peu plus riche confie le truchement de ses plaintes à des agents nommés comédiens qui récitent les problèmes à haute voix. L’écriture du D. se fait de la façon suivante : on place quelques types sur la scène, ensuite on passe dans la salle et on demande au public lequel lui plaît le plus. Le public répond que c’est A qui lui plaît le plus, alors l’écrivain retourne sur la scène et se met d’accord avec les artistes que A devra assommer tout le monde, puis a assomme tout le monde. Comme ça, on peut gagner de l’argent.

Sous catégories.

a) Tragédie. Elle représente le mari qui est trompé par sa femme, ce sur quoi dans sa colère il revolverise sa femme, ou lui-même, ou seulement sa femme et le séducteur, ou le séducteur et lui-même, ou le séducteur seul, ou le séducteur et sa femme et lui-même (voir : permutations, science mathématique auxiliaire).

b) Comédie. Elle représente le même mari qui est trompé par sa femme, ce sur quoi il trompe lui aussi sa femme.

c) Vaudeville. Elle représente le même mari qui est trompé par sa femme, ce sur quoi il chante un couplet.

4. Critique (C.). Quelques personnes aimant la querelle, ne souffrant de rien par ailleurs, se font passer pour des personnes influentes en contrôlant la requête des plaignants évoqués plus haut, mais on ne doit pas ajouter foi à ces personnes (les critiques) car ce sont des gens malveillants et de mauvaise foi, qui énervent souvent l’écrivain dans la peine ; si par exemple quelqu’un a une balle dans le ventre et qu’il décrit cet état de choses dans une requête plaintive en V. (vers) (sous le titre « J’ai une balle dans le ventre »), un tel C. serait même capable de trouver ça beau, autrement dit : cela lui plaît que j’aie une balle dans le ventre (cf. joie mauvaise).

5. Histoire des littératures (cf. rubrique "Victimes d’inanition" dans les sciences statistiques).