Frigyes Karinthy :  "Dictionnaire simplet"

 

 

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NervositÉ, homme nerveux

 

nervosité lype particulier d’homme employé ces derniers temps comme instrument de mesure (voir : séismographe). C’est un état particulier qui le rend apte à ce rôle, cet état consiste en ce que les organes sensoriels de l’homme nerveux (H.N.) captent jusqu’aux plus fines des impressions contre lesquelles l’homme normal est immunisé ; ainsi par exemple, si trois fourgons cahotent à minuit le long de l’avenue Andrássy où l’homme nerveux demeure, et si plusieurs ivrognes de ces fourgons lancent de petites bombes par la fenêtre en chantant "Die Wacht am Rhein", La Garde au Rhin, transcrit pour voix de ténor, l’homme nerveux est capable de le remarquer, ou même de se réveiller, et de signifier l’effet exercé sur ses terminaisons nerveuses par la répétition d’un tic approprié de ses muscles faciaux. Mais on remarque et on observe également des changements gestuels moindres ; ainsi par exemple, mettons que l’H.N. soit assis à son bureau et que le préposé à l’arrosage municipal, un homme normal, ne s’aperçoive pas qu’il a dirigé l’orifice de sa lance tout droit vers la fenêtre ouverte, et qu’avec son jet d’eau il tire dans le ventre dudit séismographe assis à son bureau ; l’H.N. réagit même à cette infime anomalie et par de fiévreuses gesticulations des mains il se met à signaler ladite anomalie, et aujourd’hui d’ailleurs il existe déjà des appareils encore plus sophistiqués qui courent directement au commissariat de police avec des jambes, et qui là, par des mouvements vifs des lèvres et de la langue informent les hommes normaux de ce qui s’est passé. D’autres encore se mettent à sonner si des araignées ou autres insectes se promènent dans la soupe ; on en a vu un qui remarque ce genre d’ingrédient, même crevé, dans la nourriture (c’est-à-dire que ce sont les insectes qui sont crevés et non l’H.N.). D’autres appareils encore se mettent en mouvement au téléphone : après à peine une trentaine de sonneries et une petite demi-heure ils signalent en tambourinant verticalement de leurs jambes (voir : trépigne) que la demoiselle des téléphones n’a toujours pas répondu. D’autres encore émettent des sons stridents si un tramway leur roule sur le pied, ou si le garçon du restaurant allume leur cigare en leur roussissant un œil. D’autres encore sont sensibles même à la minuscule irrégularité qu’ils rencontrent quand en rentrant le soir ils vont à l’armoire pour en sortir une chemise de nuit et qu’à la place de ladite chemise de nuit ils y découvrent le logeur dont leur femme avait tant coutume de louanger la gentillesse et la bonne éducation, ajoutant : quel dommage qu’il n’apprécie pas les femmes.

Il existe des médecins qui considèrent l’état de l’H.N., la nervosité, comme le symptôme d’une maladie, et qui envisageraient même un traitement possible. Parmi ces traitements trois sont particulièrement en vogue ces derniers temps.

1. Le sanatorium ou eau froide qui consiste à verser de l’eau froide dans les yeux, les oreilles ou autres parties du corps de l’H.N. capable de réagir à des sollicitations extérieures, jusqu’à ce qu’il en ait assez. Le traitement consiste d’autre part à isoler l’H.N. de toutes les influences qui l’irritent. Ainsi par exemple les yeux de quelqu’un peuvent être irrités parce que son papa veut épouser la fille que lui-même avait demandée en mariage : pour traiter ce cas, on enferme le papa et la jeune fille en question à la surface de notre petit Globe terrestre, tandis que le malade sera laissé en liberté dans l’immensité d’une cellule individuelle.

2. Freudisme ou psychanalyse, intéressante invention psychologique à laquelle un professeur viennois, le docteur Sigmund Freud, a travaillé pendant trente ans, et il est parvenu au bout de ces trente années au résultat étonnant que si quelqu’un rêve qu’il mange du boudin au foie, cela signifie qu’il aimerait manger du boudin au foie. En vertu de cette étude l’homme a une conscience inférieure et une conscience supérieure mais il n’a pas d’esprit. On dit que la prise de conscience de cet état de choses guérit la nervosité.

3. La suppression des nerfs en tant que causes pathologiques par l’extirpation du foyer nerveux central (cerveau). Cette extirpation nécessite une intervention chirurgicale, que le malade effectue sur lui-même à l’aide d’une arme appelée revolver. Cet instrument supprime toute nervosité.

 

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