Frigyes
Karinthy : "Souvenirs de Budapest"
c'était une
blague !
Le baron (dort dans son petit lit et dans son sommeil il
imite un homme ordinaire qui ronfle comme un artisan.)
Le comte (force avec un levier la fenêtre du
rez-de-chaussée donnant sur la cour.)
Le baron (ronfle.)
Le domestique (tend l'oreille depuis la chambre de bonne.)
Le comte (pousse la fenêtre et rampe prudemment
dans l'antichambre, il tâtonne.)
Le domestique :
Non mais des fois, qui crapahute dans l'antichambre ? (Il y va, il rencontre le comte.)
Le domestique
(se
méprend, il s'imagine que quelqu'un se serait faufilé par la
fenêtre dans le but de cambrioler) :
Oh, oh, salaud de cambrioleur, qu'est-ce qu'on manigance là ?!
Le comte (cogne le domestique à la tête
avec son browning et le tue.)
Le baron (rêve qu'il est réveillé.)
Le comte (pointant son browning devant lui, il ouvre
prudemment le bureau de travail du baron.)
Le baron : Ahouah ! (Il bâille. Il
s'étire.)
Le domestique
(commence
à se décomposer.)
Une punaise : En principe je
n'aime pas le sang bleu, mais j'ai faim. (Elle pique le baron.)
Le comte (sort
ses outils de cambrioleur et s'apprête à forcer le coffre.)
Le baron (la punaise le réveille.)
Le comte (a ouvert le coffre, il ramasse l'argent.
D'un geste caractéristique chez les aristocrates, il fourre les billets
dans la poche de son gilet.)
Le baron : Hé… non mais, qui
farfouille là dans mon bureau ? Jean ! Holà,
Jean !
Le domestique (regrette, mais il est mort.)
Le baron : Oh le saligaud, il ne vient
pas. Je vais voir. (Il fait un saut dans
son bureau.)
Le comte (saute
vers la fenêtre.)
Le baron : Ah bon ! Un
cambrioleur ! Un policier ! Un policier !
Un policier (dans la rue) : Oh, c'est la voix de Monsieur le
Baron ! ça change
tout, alors j'y vais. (Il court à la
fenêtre par laquelle le comte lui saute justement dans les bras.)
Le policier :
Tiens donc, te voilà, toi ! (Il
l'attrape.)
Le comte (sort son browning mais on le lui
arrache de la main.)
On
téléphone. Des policiers accourent. Arrive également le
capitaine de police. Le comte proteste, il se débat, mais on finit
difficilement par le maîtriser. Les policiers parcourent les pièces,
ils retrouvent le coffre-fort fracturé et le domestique abattu. Ils
fouillent dans les poches du comte et trouvent l'argent.
Le capitaine de police : Alors, voyons un
peu, qui es-tu ?!
Le comte (sort une carte de visite) : Je suis le comte Magnat, du Park Club.
Le capitaine de police : Eheh… meheh…
Le baron : Ah, mais c'est Poldi ! Also, Poldi, quelle drôle d'idée tu as eue
là, tu avais un si pressant besoin d'argent ? Un sacré
gamin, ce Poldi. C'est inouï, ça !
Le capitaine de police : Pardonnez-moi,
Messieurs, de vous interrompre, mais la situation est suffisamment complexe
pour que je sois obligé de demander à ces Messieurs de bien
vouloir entrer dans nos bureaux pour régler cette affaire.
Le comte : Ha, ha, ha ! Ha, ha !
Le capitaine de police
(effaré) : S'il vous plaît, pourquoi
riez-vous ?
Le comte : Ha, ha, ha ! Ha, ha ! C'est
excellent. Je vous ai bien eus. C'était une blague.
Le capitaine de police (tombe
sur un chèque qui traîne par terre. Il
balbutie) : He… be… be… hebe-berebe…
Hebrebebehe…
Les policiers (en chœur : Hebe… he… hebrehe…
Le capitaine de police : Ha, ha, ha !
Ha, ha ! Très drôle. C'était une blague.
Évidemment. Ha, ha, ha ! (Vers
les policiers) : Alors
couillons, pourquoi vous restez plantés là ? Vous n'avez pas
entendu ? Monsieur le Comte n'a fait que plaisanter.
Le chœur des
policiers :
Le comte a bien
blagué,
Le comte a bien
blagué,
Le comte a
plaisanté,
Seu-heule-me-hent
plaisanté !
He, he, he ! Ha, ha, ha !
On a bien
rigolé,
Failli nous
étrangler !
Tous (en chœur) : He, he !
Nous nous amusons bien ! Amusons bien ! Bien !
Le chœur : Musons… musons… ha, ha, ha !
Ha !
Un policier (donne un coup de pied dans le domestique) : Hé vous, arrêtez de faire cette gueule
d'enterrement ! Vous avez entendu ? Il n'a fait que blaguer.
Le domestique (ressuscite) :
Musons… musons… ha, ha, ha ! Ha !
Tous :
On a bien
rigolé,
Failli nous
étrangler !
Le paragraphe 22. traite des poursuites à exercer d'office.
Rigolons…
étranglons…
Étranglons…
rigolons…