Frigyes Karinthy : Théâtre
Hököm
l’adorable
mariÉe[1]
Vaudeville
Écorché sur Balaton, juillet.
Le vacancier (en maillot de bain à bouche de veau, un haut de forme de guingois
sur la tête. Chanson) :
Je me suis rendu dans la
cuisine,
J’y ai allumé ma
pipe,
Ou bien, je l’aurais
allumée...
Si Krémer
m’avait envoyé le demi-litre de pétrole contre lequel le
barbier local m’avait promis une demi-livre de sucre pour que je le donne
au maître d’hôtel du café du Plaisir qui
s’était dit prêt à donner un paquet de tabac en
échange,
Si elle n’avait pas
brûlé déjà.
La
jeune MARIÉE (crie
depuis la cuisine) :
Qu’est-ce que vous avez à crier, Monsieur ? Retournez au
campement si ça vous reprend. Maudit soit la peau sur votre sale gueule
brûlée !
Le
vacancier (humblement, chante) :
En effet, ma gueule est bien
brûlée.
Mais ce n’est pas pour
ça que je m’y suis rendu.
Je m’y étais
rendu, parce qu’alors j’ai bien vu
Qu’il y avait dedans une
demi-livre de...
beurre, trois œufs et un gros morceau de
lard.
Le
vacancier (flagorneur) : Adorable petite mariée
hongroise aux yeux bleu prunelle, au pied leste !
Le
vacancier (cligne des yeux) : Comment pendouille
l’andouille ? À combien comptez-vous les poulonnes ?
(Il cligne des yeux.)
Le
vacancier : Les poulonnes, c’est
les œufs. En parler populaire.
Le
vacancier (chante) :
Jeannot couillon, Pierrot
couillon
Je serais, si je
l’achetais,
J’achète
plutôt ce beurre-là,
À tartiner sur mon pain,
là.
Et le beurre donc, à combien, mon
petit cœur ? Parce que les œufs, c’est un peu
chérot pour ma bourse !
Le
vacancier : Que se chagrine le cheval si sa tête, compte tenu
de son plus grand volume, est mieux équipée pour le chagrin que
ma pauvre petite tête à moi. Ce que j’aimerais enfin savoir
pour de bon, c’est le prix de votre beurre, si toutefois parmi vos
nombreuses occupations ça ne vous démange pas de me le dire.
Le
vacancier (chante) :
Si moi j’avais fortune et
cent couronnes,
La poignée de ma porte
serait sculptée de beurre.
Mais comme je ne les ai alors mas
pas du tout,
Elle est faite de cuivre
hélas,
Et c’est ce que le fisc
va me saisir tantôt.
(Un clin d’œil.) Et Maxi, comment va-t-il ? Le petit
Maxi ? Vous ne l’avez pas vu par ici ?
La
jeune MARIÉE (menaçante) : Quoi ? De quoi
parlez-vous ? Vous n’osez quand même pas...
Le
vacancier (effrayé) : Je ne me permettrais pas !
Pour qui me prenez-vous ? Je parlais de Miksa,
de Miksa Nordau, le
célèbre journaliste.
Le
vacancier (chante) :
Sur les flots du Balaton
Tangue la barque du
pêcheur.
Son filet
réquisitionné
Réquisitionné par
l’Agence poissonnière,
Un sandre y vaut cent
couronnes !
Le
vacancier (chante) :
La lune baigne tout le Balaton
en long,
Le malandrin rêvasse au
guichet de la plage,
Pourquoi n’a pas
demandé le double du prix
On lui aurait payé recta
au marché noir.
La
jeune MARIÉE : Adieu, Dieu vous garde, pour si peu je ne
vous vends rien.
Le
vacancier (chante) :
Un tapis d’étoiles
couvre le ciel,
Tu repenseras à moi plus
tard
Mais alors il sera trop tard
Mais alors il sera trop tard
On aura
réquisitionné ton beurre
et alors vous n’en mangerez pas non
plus, nous mangerons du chou tous les deux.
La
jeune MARIÉE (chante) :
Le chou il est rond
Ses feuilles sont
dentelées,
Ah bas l’Agence
beurrière,
Ah bas, Ah bas !
Tous
les deux (chantent) :
Les hirondelles nichent sous la
gouttière.
Que caches-tu dans ton tablier,
petite fière ?
Une minuscule petite pomme...
Le
vacancier (avidement) : Des pommes ? Des
pommes ? Pourrais-je en avoir un kilo ? Combien ça me
coûterait un kilo de pommes ?
La
jeune MARIÉE (continue) : Cinquante cou... cou... cou...
couronnes
Le
vacancier : Com... com... com... combien ? Il tombe dans les pommes.
Tous
les deux (chantent) :
Vaudrait mieux reposer dans la tombe !
Danse, rideau.