Frigyes Karinthy : Théâtre
Hököm
comme qui dirait[1]
Père Pali et Père Pista sont
gentiment assis sur une fesse à l’extrémité du banc
de la maison et fument leur pipe. De quoi peuvent-ils bien parler ? Il ne
serait pas inutile de collecter quelques observations authentiques pour mon
grand roman social en préparation. Approchons-nous discrètement.
Père
Pali : Ça, ça se peut bien. Je ne dis pas que ça
ne se peut pas.
Père
Pista : Car, comme qui dirait, c’est comme ça.
Père
Pali : Pour sûr, comme qui dirait, ce n’est pas que
ça ne se peut pas. Je ne suis pas celui qui dirait que non, quand
c’est oui. Car on ne peut jamais être sûr de rien ?
Père
Pista : Ça, on ne peut pas. C’est bien vrai.
Père
Pali : Car celui qui vient me dire que, comme qui dirait, c’est
comme si, ou c’est comme ça, il perdrait son temps. Moi, je sais
ce que je sais.
Père
Pista : Pour sûr, ce qu’on sait, on le sait.
Père
Pali : Eh ! J’espère bien. Il y en a qui disent des
choses sans même savoir, comme qui dirait, à quoi ça sert.
Que personne ne vienne me dire que, comme qui dirait, ceci, cela et cela encore
– car moi, je suis un homme droit, ce que j’ai sur le cœur, je
l’ai sur la langue, personne ne peut me dire que, comme qui dirait, je ne
dis pas tout de go ceci et cela.
Père
Pista : Pour sûr que non.
Père
Pali : Pour sûr. Sûr que non.
Père
Pista : Je me comprends.
Père
Pali : Eh !
Père
Pista : Pas vrai, peut-être ?
Père
Pali : Et comment, que c’est à peu près ça.
Père
Pista : Mais, c’est comme ça, non seulement à peu
près, c’est comme ça tout à fait sûrement. Que
personne ne vienne me dire que comme qui dirait, tiens, tiens. Parce
qu’au commencement, tout le monde a tendance à s’imaginer
que – eh !! Cette fois ce sera comme ci ou comme ça, quoi
– et puis il finira par piger que ce n’est ni comme ci, ni comme
ça, et pourtant ça doit aller parce que c’est
obligé. Parce qu’on peut bien penser qu’on finirait par
trouver une autre manière – et puis à la fin tout sera
exactement comme c’était obligé que ce soit. Car ça
n’est jamais encore arrivé que ça ne soit ni comme ci ni
comme ça.
Père
Pali : Ça, c’est dire la vraie vérité. Eh
oui, on peut dire que c’est bien vu.
Père
Pista : Eh !
Père
Pali : Vous êtes bien placé pour le savoir.
Père
Pista : Évidemment, je le suis
Père
Pali : Comment ne le sauriez-vous pas ?
Père
Pista : Je sais aussi d’autre part que si une chose veut se
passer comme elle se passe, alors elle ne se passera sûrement pas
autrement. Et puis aussi, toute chose a son début, et elle a aussi sa
fin – c’est vrai ou ce n’est pas vrai ?
Père
Pali : Et comment que c’est vrai !
Père
Pista : Eh bien, voyez-vous ! On ne peut pas dire que Père
Pista serait un imbécile. Il faut ajouter d’autre part, comme qui
dirait, que celui qui remarque une chose peut aussi la croire. Car il existe
beaucoup de choses de ce genre, et il existe aussi beaucoup de choses
d’un genre différent, mais ce qui est sûrement toujours
pareil, c’est que si une chose est là quelque part, elle aurait du
mal à se trouver ailleurs.
Père
Pali : Eh, Père Pista, vous êtes quand même un
homme intelligent, ça se voit.
Père
Pista : J’espère bien. Celui qui dirait autre chose
n’est pas un homme droit. Pourtant il y en a.
Père
Pali : Et comment qu’il y en a. Le monde est grand, il y a
dedans toutes sortes de choses !
Père
Pista : C’est la sagesse même.
Père
Pali : Pas d’erreur possible.
Père
Pista : Eh !
Père
Pali : Vous voyez.
Sur ce point ils ont interrompu leur
conversation, apparemment ils se sont dit toutes leurs remarques les plus
importantes concernant l’affaire. Étant donné que
j’ai un peu mal à la tête, je laisse à
l’honorable lecteur la tâche de découvrir de quoi ont discuté
Père Pali et Père Pista. Un tome de l’ouvrage "La
force expressive concrète de la langue hongroise" du professeur Szilárd Tömb va
être offert à l’heureux gagnant d’un tirage au sort
parmi les bonnes réponses.