Frigyes Karinthy :  Théâtre Hököm

 

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une femme sans dÉfense[1]

 

Le dragueur professionnel : Je vous prie de m’excuser, chère Madame…

La femme sans dÉfense (ne répond pas, elle est pressée.)

Le dragueur professionnel : Si vous vouliez bien me permettre, je voudrais seulement demander…

La femme sans dÉfense : Dégagez

Le dragueur professionnel : Mais je vous supplie humblement…

La femme sans dÉfense : Disparaissez immédiatement, sale individu !

Le dragueur professionnel : Je me suis seulement permis…

La femme sans dÉfense : Sale escroc, infâme individu, si vous ne déguerpissez pas, j’appelle la police.

Le dragueur professionnel : Chère Madame, je vous assure…

L femme sans dÉfense : Dégoûtant jouisseur dépravé, abject séducteur, vous n’avez pas encore compris que vous avez affaire à une pauvre femme en détresse, sans défense ? Oh mon Dieu, mon Dieu, à quoi est exposée une femme sans défense ! (Elle pleure et elle gifle le dragueur professionnel.)

Le dragueur professionnel (secoué) : Madame, je serais inconsolable si vous pensiez que…

La femme sans dÉfense : Tais-toi, chien, tais-toi ! Tu aimerais bien, hein, salir une femme sans défense, impuissante, et la soumettre à la jouissance pestilentielle de tes désirs dégoûtants, violents, voraces et animaux ? Écœurant ! Vous ne cessez toujours pas vos brutalités !? (Elle administre un coup de pied dans la poitrine du dragueur professionnel.)

Le dragueur professionnel (effrayé) : Jésus Marie !

La femme sans dÉfense : Monsieur se permet de chuchoter dans l’oreille d’une femme sans défense qui ne veut pas répondre aux avances d’un sale cochon ? (Elle cogne le dragueur professionnel à la tête.)

Le dragueur professionnel : Mais si Madame ne souhaite pas…

La femme sans dÉfense : Il n’y a personne ici pour m’aider ? Personne ne vient à mon secours ? (Elle tire une balle sur le dragueur professionnel.)

L’opinion publique : Qu’est-ce qui se passe ici ?

La femme sans dÉfense : Cet homme m’a interpellée… interpellée, moi ! Il m’a interpellée ! Il m’a interpellée !

L’opinion publique : C’est terrible ! Une femme sans défense ! Pouah ! (Elle crache sur le dragueur professionnel.)

Le dragueur professionnel : Mais, je voulais seulement…

L’opinion publique : Ne peut-on pas enfin nettoyer la société de cette plaie ?

La sociÉtÉ : Au secours ! Au secours ! Sauvez-moi ! Cette plaie m’a salie !

La justice : Que se passe-t-il ?

L’opinion publique : Venez vite, s’il vous plaît, cet individu agresse le petit Toto de la Société, qui ne faisait, lui, que rentrer tranquillement de l’école le cartable à la main, alors que cet individu lui est rentré dedans et s’est mis à le houspiller ! Venez vite !

La justice : Il faut l’emmener au commissariat.

La femme sans dÉfense (pleure) : Qui va me donner réparation ?

La justice (troublée) : Eh bien, que faire maintenant ? Il n’y a pas de paragraphe adéquat.

L’opinion publique : Il n’y en a pas ? Saloperie !

Le dragueur professionnel (d’une voix mourante) : S’il vous plaît… Je voulais seulement dire…

L’opinion publique : Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! En matière d’honneur de femme, on ne plaisante pas !

La justice : Cela est vrai.

La sociÉtÉ : Tuez-le ! Tuez-le ! (Elle coupe la tête du dragueur professionnel.)

La variÉTÉ d’arachnidés dont la femelle est seize fois plus grande que le mÂle et qui dans les conditions ordinaires se fait un plaisir de le manger : Tuez-le ! Tuez-le ! Agresser une femme sans défense ! (Elle pique le dragueur professionnel.)

Le dragueur professionnel : Mais je voulais simplement demander à Madame comment va son cher mari, mon ami Rudi Babouche.  (Il meurt.)

La femme sans dÉfense (pleure) : Quel sale menteur ! Rudi Babouche n’est pas mon mari, il est seulement mon ami ! Il n’est même plus mon ami, je l’ai plaqué hier, j’ai un nouveau copain, c’est Feri, depuis ce matin.

 

 Suite du recueil

 



[1] Cette scène apparaît aussi dans le recueil "Aimable lecteur".