Frigyes
Karinthy : Théâtre Hököm
joueurs d'Échecs[1]
et
N.G., le célèbre auteur dramatique
- Plem,
plem.
- Plem,
plem ? Comment vous dites ? Plem, plem ?
- Je me le suis permis. Je
m'en suis donné la permission.
- Eh bien, si nous honorons en
vous le Père Mission, si vous êtes un des représentants de
la lignée des Mission, dans ce cas, mon cher Mission, je vais vous
donner échec.
- Vous me donnez
échec, un échec-patapon. Qu'est-ce que
ça va vous faire sur notre échiquier si moi je fais ce pas-là… Ou disons plutôt, à la
place de ce pas-là, disons, disons, ce pas-ci…
- Vous n'avez pas de pas
à faire, mon cher Mission, mon cher et vaillant Mission, car vous
n'êtes pas une ballerine à faire des pas de deux et des chassés-croisés pour gagner son pain, mais
vous êtes bel et bien un joueur d'échecs qui ne peut que faire un
seul pas car il y a une pièce
touchée [2],
vous avez touché une pièce, vous l'avez touchée,
douchée, vous lui avez donné une toute petite douche, figure
touchée bouge, figure non touchée reste, mais y a-t-il des
figures immaculées ? Échec au roi !
- Échec ! Vous
avez dit Échec ! Vous avez une certaine prédilection pour
dire échec. Vous êtes un schakter[3].
- Un schakter ?
Grossartig[4].
Que de choses vous viennent dans la tête ! Dites-moi par où
elles entrent dans votre tête, dans votre petite tête, dans votre
toute petite têtette, dans votre minuscule
petite têtinette, des choses comme schakter ? Entrent-elles plutôt par le bas ou
par le haut ?
- Têti,
prêti, petite prenette,
dites-vous, ça alors, têti, prêti, petite prenette, si
vous en voulez des têti, prêti,
petite prenette, alors vous en aurez : je prends
ma tour et je la pose ici, je pose ma tour sur la table de la maison, sur la
table de la maison je pose cette petite tour hongroise, cette petite jeunotte
fluette, mais uniquement parce que vous avez l'air d'apprécier les têti, prêti, petite prenette.
- Bon d'accord,
d'accord… se, se, se… fe, fe, fe… non, je n'ai rien
dit, et même ça tout en douceur… En admettant que vous la
placiez là, qu'est-ce qui peut se passer ? Doux Jésus, alors
je ferai ça, et vous ferez ça, je prendrai celle-là,
évidemment celle-ci restera en prise… Bon, on y va. Tenez.
Échec.
- Échec ? Vous
vouliez vraiment dire : échec ? Alors pourquoi au lieu d'échec,
vous avez dit échec ? Mais si c'est échec, quel choc !
Un chèque, c'est un chèque.
- Et le cheval, qu'est-ce
qu'il va devenir ? Que va devenir le cheval ? Et le pauvre cavalier
sur son dos ?
- Sur son dos ? Je
n'aimerais pas être à sa place. Vous savez ce que je vous
dis ? Il vous arrivera encore de danser pour des prunes. Pour mieux
m'exprimer : on n'est pas loin du jour où nous verrons votre
seigneurie s'exposer à des exercices chorégraphiques, batifoler,
folâtrer pour les âpres fruits du prunus vulgaris.
À folâtrer comme ce fou dans le coin.
- Le fou ? Vous avez la
fièvre ? Qu'est-ce qu'il a ce fou ? Si vous avez de la
fièvre, mettez-vous un cataplasme sur la tête, un cataplasme
glacé, mon ami, qu'en dites-vous ?
- Ce que j'en dis ?
Vous, qu'est-ce que vous dites de la correction inattendue que vous avez
ramassée quand l'autre jour vous avez abattu le fou de Keller ?
Hein ?
- Je l'ai remarquée,
je ne le nie pas, je l'ai bien remarquée cette correction…
cor… correc… cocor…
coco… rococo… cocorico…
- Hop-là,
hop-là ! Comment vous avez dit tout à l'heure ? têti, prêti, petite prenette… c'est ce que vous avez dit… alors va
pour têti, prêti,
petite prenette… regardez bien… en
voilà un plem… un fou tombé au
champ d'honneur.
- Plem,
plem, dites-vous, à propos de certains
sentiments de dignité. Dans ce cas, si plem, plem… alors encore échec !…
Etc.