Frigyes
Karinthy : "Livre d’images"
diplomatie II
-
Hé, grands Dieux, qu'est-ce que vous voulez encore ?
- Je
supplie Votre Excellence de bien vouloir agir sur l'opinion publique par la
voie des médias afin d'éviter que la
récente intervention inattendue de la diplomatie des grandes puissances,
devenue malheureusement inévitable compte tenu des circonstances, ne
suscite des inquiétudes inutiles.
- Grands
Dieux ! Par la fenêtre ! Au sec… !
- Je
serais sincèrement désolé si la présente terreur
panique répandue dans l'opinion publique devait forcer les grandes
puissances d'intervenir plus énergiquement pour maintenir l'ordre et la
paix et si, en proposant des mesures exceptionnelles ou en proclamant
l'état d'urgence, elles devaient prévoir de prendre, avec votre
consentement, les publications de presse sous leur contrôle.
- Oh,
oh ! Ne me faites pas mal ! Ne me bâillonnez pas !…
- Naturellement
je ferais part à mes mandants des bons vœux présentés
par Votre Excellence. J'ai le plaisir de vous faire savoir que dans ce cas les
grandes puissances voudront bien s'abstenir de la censure évoquée
précédemment, à condition que votre gouvernement
s'abstienne de son côté de soulever des difficultés et ne
s’oppose pas à ce que le gouvernement obtienne un feu vert pour
l'utilisation de tous vos réseaux afin de mieux faire valoir certains de
nos intérêts commerciaux.
- Oh,
oh ! Ne fouillez pas dans la poche de mon gilet, il n'y a rien !
- Sur
la base d'une convention internationale nous souhaitons annuler les clauses
concernant le détroit de Poche-de-Gilet dans le contrat de commerce.
Nous stipulons que vous garderez votre maîtrise et votre autonomie sur le
détroit de Poche-de-Gilet, dans le respect des desiderata nationaux. Les
grandes puissances de leur côté se réserveront le droit de
conclure des contrats commerciaux dans toutes les autres régions.
- Oh,
oh ! Ma montre ne vous suffit pas ? Pourquoi vous avez besoin de ces
quelques forints que j'ai dans ma poche intérieure ?… Au
sec… ! Voulez-vous bien enlever votre main ?!
- L'attitude
menaçante de vos institutions militaires nous contraint à inviter
votre gouvernement, par la présente missive, et ceci est un ultimatum,
à retirer de la frontière tous les corps d'armée qu'il y a
envoyés.
- Oh,
oh, ne me tordez pas le bras…
- Le
point numéro trois de la missive demande une réponse ferme :
Votre Excellence est-elle prête à rappeler les corps
d'armée à l'intérieur de son pays où ils pourraient
rester disponibles sous réserve de ne pas mobiliser de
réservistes.
- Seigneur
Jésus, vous avez attaché mes mains ! Aïe, ne me faites
pas mal, Monsieur le cambrioleur !
- Le
désir le plus ardent des grandes puissances est de tout faire pour que
la paix européenne ne mette pas en danger les intérêts
vitaux de chacune des nations. C'est précisément le maintien de
la paix en Europe qui rend nécessaire de départir l'Albanie et de
déterminer avec précision les limites d'extension de votre
État. Nous attendons de vous une proposition précise et rapide
dans ce sens.
- Mais
je vous jure que je n'ai rien de plus sur moi, j'avais tout juste les six
couronnes que vous m'avez déjà piquées. Regardez les
poches de mon pantalon, elles sont vides. Je n'ai rien non plus dans mon
porte-monnaie.
- L'exposé
d'hier du ministre du commerce concernait aussi certains produits coloniaux au
sujet desquels nous souhaiterions également signer avec vous un contrat
intéressant.
- Quoi ?
Dans mon placard ? Bon, allez voir si vous y trouvez quelque chose. Vous y
trouverez une paire de bretelles, l'huissier m'a pris tout le reste. Où
je cacherais des choses si j'en avais ?
- J'ignore
si je peux considérer cette réponse de Votre Excellence comme
définitive.
- Je
vous jure que je n'avais rien d'autre que les six couronnes que vous m'avez
prises.
- Dans
ce cas vous me rassurez et je m'en félicite, J'ai l'honneur de
déclarer que la conférence des grandes puissances a pris acte de
votre réponse et, afin d'éviter de mettre en danger la paix de
l'Europe, nous renonçons à prendre des mesures
supplémentaires, nous reconnaissons et respectons votre revendication
qui est un des accessoires légitimes de votre fierté nationale.
Je crois pouvoir rendre compte d'un complet accord de paix et je le ferai bien
volontiers sous réserve que vous garantissiez le retour de nos
émissaires en sécurité.
- Bon,
bon, je ne crierai pas pour appeler la police, mais rangez enfin ce
revolver… ! La sortie est par là, par la
fenêtre…
- Au
prix de grands efforts, notre politique prudente et équitable a
réussi à régler le conflit à l'entière
satisfaction de tous, et la paix de l'Europe peut être
considérée comme idéale à cet instant même.
Je vous prierais, Messieurs, d'en informer vos journaux.