Frigyes Karinthy : "Livre de contes"

 

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littÉrature arabe

 

J'ai beaucoup entendu parler des beautés orientales de la littérature arabe, celles des contes de fées des "Mille et une Nuits". Le charme oriental, la richesse merveilleuse des légendes. J'ai donc sorti les "Mille et une Nuits" et je vais en citer un passage merveilleux.

C'est Shéhérazade, la belle sultane qui raconte cette légende au sultan Schahriar pour le supplier de repousser la sentence de mort qui pèse sur elle.

 

Les trois pierres du calife

 

Il était une fois à Bagdad un charmant calife qui avait beaucoup d'argent. Ce calife se promenait volontiers incognito dans les rues de Bagdad. Un soir, au coin d'une rue, pendant qu'il baguenaudait avant de regagner son palais, il aperçut un vieux marchand de pilaf qui proposait des pierres précieuses et autres richesses aux passants avec de grands gémissements. Le calife s'arrêta, eut pitié du pauvre homme, se mit à choisir parmi ces pierreries. Une émeraude eut sa préférence. Il s'enquit d'où provenaient toutes ces pierres et le marchand de pilaf lui répondit par le conte suivant :

 

Ali Baba et les quarante libraires

 

Il était une fois sur la rive de l'Euphrate un célèbre Baba appelé Ali Baba. Tombé gravement malade, il convia un jour un de ces derviches qui en Arabie se consacrent à la guérison des malades. Le derviche vint bientôt, il ausculta Ali Baba et dit :

- Oh, grand seigneur, tu souffres du même mal qu’Hassan dont si tu permets, je vais te raconter l'histoire.

Ali Baba, le mourant, le permit et alors le derviche conta l'histoire qui suit :

 

Hassan et le jeune berger

 

Hassan était un chamelier opulent en Arabie. Un jour il repartit dans le désert avec sa caravane. Ils marchaient depuis trois jours quand l'eau vint à manquer. Les croyants jetèrent le muezzin à terre et se mirent à prier à haute voix. Alors apparut un jeune berger et il interpella Hassan :

- Je ne vais pas tarder de vous procurer de l'eau, mes chameaux seront ici en moins d'une heure. En attendant, pour que tu ne t'ennuies pas, je vais te raconter l'histoire de Sindbad et de l’oiseau Rokh.

Hassan acquiesça et le jeune berger commença son histoire :

 

Histoire de Sindbad et de l’oiseau Rokh

 

Sindbad était un richissime marchand à Bagdad. Un jour il décida de se mettre en route afin de rendre visite à un parent qui vivait au-delà des mers. Il acheta des bateaux qu'il chargea de diadèmes et de noix de coco. Puis il embarqua. Le troisième jour éclata une grande tempête et son bateau sombra. Tous les marins se noyèrent, Sindbad fut le seul rescapé. Il se retrouva sur une île déserte où des hommes à deux têtes se trouvaient assis sur la rive. Sindbad les salua et s'assit parmi eux. Pour passer le temps, l'un des hommes à deux têtes commença à raconter une histoire avec une de ses deux têtes. Il dit également une histoire avec son autre tête. La première parlait d'un pêcheur et d'un esprit et elle charma l'attention de Sindbad :

 

Le pêcheur et l'esprit

 

Il était une fois un pauvre pêcheur qui vivait dans une grande misère au bord de la mer. Un jour son filet se trouva très lourd et quand il le ramena, il trouva dedans une bouteille. Il déboucha la bouteille, laissant échapper ainsi un immense nuage de fumée. Le pêcheur eut très peur, et en criant le nom d'Allah il se jeta à terre. Alors un esprit se dégagea de la fumée et il menaça le pêcheur :

- Je vais te tuer sur-le-champ !

- Attends ! - Dit le pêcheur. – Je te parle d'abord du cochon vert.

- D'accord, je prends encore le temps de t'écouter, dit l'esprit, et il s'assit près du pêcheur. – Raconte.

Le pêcheur se mit à raconter. Voici son histoire :

 

Le cochon vert

 

- Je n'ai pas dit "raconte", j'ai dit que je parle du cochon vert, commença le pêcheur.

 

- Alors allons-y, dit l'esprit.

- Je n'ai pas dit "allons-y", j'ai dit que je parle du cochon vert, dit le pêcheur.

- Va au diable, dit l'esprit épuisé et énervé, et il abandonna le pêcheur qui fut ainsi sauvé.

 

C'est ainsi que l'homme à deux têtes acheva son histoire qui plut beaucoup à Sindbad. Il bénit l'île et, puisqu'il avait encore un de ses deux bateaux, il chargea dessus la marchandise qui lui restait et retourna dans son pays où il vécut depuis lors dans la plus grande paix et la plus grande sagesse jusqu'au jour de sa mort.

Le jeune berger se tut, permettant à Hassan d'oublier complètement sa soif. Entre-temps l'eau était arrivée et ils furent tous ravis d'en boire. Ainsi Hassan réussit-il son voyage et il retourna, heureux et riche, à Bagdad.

 

Lorsque le derviche eut fini de raconter son histoire, Ali-Baba s'assit dans son lit de mourant et dit :

- Allah, il illah, illa, oulla, ella. Ella s'envola et voilà Mahomet qui avec Ella vola.

Et dès lors il fut guéri.

 

- Voilà mon histoire, oh grand Calife ! Dit le marchand de pilaf en se prosternant profondément. Le calife l'enrichit d'abondants cadeaux et retourna dans son palais.

 

C'est ainsi que Shéhérazade acheva de conter son histoire et elle ajouta :

- Mais demain, ô grand Sultan, je te conterai l'histoire merveilleuse du calife Haroun al Rachid qui n'est pas moins passionnante et moins merveilleuse que la précédente.

Schahriar lui promit alors de la laisser vivre une journée de plus et tous ils s'endormirent.

 

Voilà la merveilleuse légende extraite des mille et une nuits. Si je l'ai contée à mes chers lecteurs, c'est pour les inciter à la raconter à tous ceux qu'ils croisent, et qu'ils précisent bien que c'est de moi qu'ils la tiennent. Qu'ils y ajoutent que je suis un jeune et pauvre berger dans la mosquée du café New-York, que je ne dispose d'aucun bateau, que je me prénomme Aladár et mes fils pêcheurs m'appellent à la maison Ali-Papa et que de temps en temps je vais chéhérir le hasard au casino. Illa, ella, ellilla, Allah. Qu'ils transmettent à leurs auditeurs de la raconter à d'autres à leur tour, mais en veillant aux chiffres parce que moi, toute cette littérature arabe, j'en ai ma claque.